23 avril 2024

Face à la crise, les artisans casablancais se détournent du tourisme et explorent de nouvelles niches

Malgré la hausse des exportations d’artisanat, les artisans recherchent de nouvelles débouchées pour leurs produits. Reconversion, recherche de nouveaux clients, concentration sur une clientèle locale… Les issus de sortie sont multiples mais ne permettent pas aux artisans de voir le bout du tunnel

893 Millions de dirhams, c’est le chiffre d’affaires réalisé à l’export des produits d’artisanat en 2021, une année de récupération du manque à gagner de 2020. La hausse des exportations est de 50% par rapport à 2020 et de 13% par rapport à 2019, année faste du tourisme au Maroc. La crise due à la pandémie du Covid-19 a donc permis de renforcer les débouchées à l’export face au faible flux de touristes en 2021 (3,7 millions d’arrivées touristiques contre 12,9 millions en 2019). L’artisanat a longtemps été un secteur dépendant du tourisme notamment dans les villes touristiques de Marrakech et Agadir. Mais l’export semble avoir sauvé la mise même si on est encore en deçà du potentiel réel. Pourtant, les artisans ont un avis différent.

Les artisans de Casablanca réfutent la relation entre tourisme et artisanat

Pour Jamal Ezzoubair, président de l’association des artisans de la chambre d’artisanat de Casablanca, il n’y a aucune relation entre tourisme et artisanat. Un des artisans du complexe se souvient des cars de touristes qui s’arrêtaient à la chambre d’artisanat dans les années 1990 pour faire leur emplette. «Les touristes achetaient directement chez nous à l’époque. Depuis, plus rien. On travaille avec nos clients particuliers et entreprises dont certains nous connaissent depuis une vingtaine d’années», atteste un artisan dans la peinture artistique des meubles en bois. Ce dernier collabore avec un menuisier qui fabrique et rénove les meubles de ses clients et crée des miroirs, des tables ainsi que des supports en bois de salons marocains…

«Nous travaillons en binôme. Cependant, lorsque les commandes sont  conséquentes, on fait appel à des apprentis pour nous aider», ajoute-t-il. Face à une structuration du secteur qui se fait attendre, les artisans marocains évoluent désormais dans un marché difficile et incertain. Après la crise du Covid-19 ayant engendré la quasi-disparition des touristes et l’effondrement du chiffre d’affaires des bazars, premiers donneurs d’ordre des artisans, il fallait trouver de nouveaux créneaux.

Une reconversion en attendant des jours meilleurs

Un spécialiste des sacs et portefeuilles en cuir et similicuir, fournisseur des bazaristes casablancais et des entreprises pour leurs cadeaux de fin d’année, explore une nouvelle niche; le e-commerce. «Suite à la crise sanitaire et à la hausse vertigineuse des prix du transport maritime, les sites de e-commerce marocains importent beaucoup moins de Chine. Ils préfèrent aujourd’hui fabriquer le plus possible au Maroc. Les artisans du cuir de l’ancienne Médina peuvent fournir entre 500 et 1000 pièces par semaine. Ils m’ont approché pour la fabrication de sacs et de portefeuilles en similicuir à des prix très serrés. J’ai accepté vue l’importance de la commande et les temps difficiles. Mais je pense qu’à terme, ce créneau est voué à disparaître», déclare cet artisan du cuir. Le nombre de retours et de réclamations élevé des clients écourtera sans doute la durée de vie de ce business. Autre problème, les contrefaçons. Le donneur d’ordre oblige le fournisseur à apposer sur ses produits des marques turques imaginaires pour induire le client en erreur.

Alors que l’artisanat a besoin d’accompagnement pour créer des entreprises avec des marques fortes et exportables, il est réduit au bricolage. Manque de moyens financiers, d’accompagnement et de vision ont limité les horizons. Pour Wassima, spécialiste du ciselage du cuir, la crise due à la pandémie du Covid-19 a presque anéanti le secteur qui ne permet plus aux artisans de vivre de leur travail aussi fin et sophistiqué soit-il. «Le cuir ciselé au cutteur traditionnel que je réalise à la main est un travail de connaisseurs. Je le fais sur des tapis de prière en cuir, sur des poufs ou encore des babouches traditionnelles. C’est un artisanat qui se perd et doit être entretenu. J’ai arrêté cette activité car je n’ai plus les moyens de payer le fournisseur de cuir et je regrette de ne plus pouvoir vivre de ma passion», déclare cette artisane convertie dans les produits cosmétiques issus du terroir qu’elle vend aux SPA et à ses clients particuliers.

Les prix des matières premières ont augmenté de 25 à 50%

Pour continuer à produire, les artisans introduisent de plus en plus de machinerie dans leur travail jadis 100% fait main. «L’arrivée des machines dans le travail de l’artisan permet d’écourter les délais de production et de contribuer au confort de l’artisan. On peut en citer les machines de découpage au laser pour réaliser les logos ou encore les machines de couture», assure M. Jamal Ezzoubair. Les artisans se sont certes adaptés à la modernisation des moyens de fabrication mais déplorent la fragilité du secteur qui attire très peu de jeunes. «Nous souhaitons que nos enfants fassent des études au lieu d’hériter notre métier précaire d’artisan», ajoute-t-il. Malgré l’arrivée de la couverture sociale pour les artisans, les métiers d’artisanat n’attirent plus les nouvelles générations et finissent par disparaître. Mais dorénavant, un autre problème guette les artisans: la hausse des prix des matières premières suite à la crise sanitaire et économique. Comme dans tout produit de fabrication locale, les intrants sont importés. «Le carton, le cuivre, les accessoires et la colle ont vu leurs prix augmenter de 25 à 50%. Nous n’avons pas encore répercuté les hausses des prix sur nos clients. Mais nous finirons par le faire. L’inflation est inévitable», déplore le président de l’association des artisans du complexe d’artisanat de Casablanca.

Ces métiers d’artisanat qui ont disparu de Casablanca

Le tissage traditionnel, la fabrication de la belgha (babouche traditionnelle) et des poignards et les parures en argent, des ustensiles en cuivre se faisaient tous à Casablanca au siècle dernier. Aujourd’hui, ils ont complètement disparus avec l’arrivée des produits manufacturés. Seuls la production d’articles en en cuir et simili-cuir, la ceinture traditionnelle Majdoul et des meubles en bois persistent dans la capitale économique.

«Les métiers d’artisanat ont été ramenés à Casablanca par les marocains venus d’autres villes telles que Fès,  Marrakech, Chefchaouen… dans les années 1920.  Plusieurs de ces nouveaux arrivants étaient attirés par la création du Port de Casablanca faisant de la ville blanche une ville économique par excellence. D’autres sont venus pour participer à l’effort de résistance nationale contre les colons français», déclare M. Jamal Ezzoubair. Le tissage traditionnel se faisait dans le quartier Derb Sultan et la veille ville de Casablanca. On tissait des couvertures, des couvre-lits, des tissus d’ameublement… «Après le décès en 2021 du Maalem El Filali; dernier tisserand de Casablanca, ce métier a définitivement disparu», déplore-t-il. Les ustensiles en cuivre utilisés jadis dans le rituel du hammam et dans la cuisine étaient faits à Kissariat Al Manjra à Derb Sultan et dans les vieux quartiers de la ville blanche. Le travail de l’argent était réalisé dans les kissariat et les vieux quartiers de la capitale économique. «Lhaj Thami était le spécialiste des poignards traditionnels en argent massif ainsi que les parures en cuivre et en argent qu’il fabriquait à Casablanca», ajoute notre source. 

La Belgha et le ballon de foot en cuir jadis fabriqués à Casablanca

La babouche traditionnelle ou lbelgha était également fabriquée dans les vieux quartiers ainsi que d’autres produits dérivés en cuir telle que le ballon de foot en cuir utilisés dans les années 1950 et 1960.  A cause de la non transmission de ce métier de père en fils, la babouche traditionnelle made in Casablanca a complètement disparu. Aujourd’hui, seuls les articles en cuir, la ceinture traditionnelle (majdoul) et la fabrication de meubles en bois persistent encore à Casablanca tout en s’adaptant aux besoins des consommateurs. «La survie de ces métiers à Casablanca a été possible grâce à l’utilisation des sacs, des vêtements en cuir, des accessoires de bureau que ce soit en cuir de chèvre, de vache et de mouton ou en simi-cuir importé de Turquie, d’Italie et de Chine», expliqueM. Ezzoubair. Dans la région, Azemmour était connue pour sa Djellaba typique, son tissage traditionnel ainsi que la broderie Zemmouri aux signes portugais. La vannerie a, elle, toujours existé dans les zones rurales de la région. Aujourd’hui, on utilise plutôt le rotin importé d’Indonésie pour fabriquer les meubles de jardin et de terrasse très prisés dans les zones balnéaires de la région Casablanca Settat.  

Wiam Markhouss

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