19 avril 2024

L’Institut Groupe CDG se pose des questions sur 2023

Chaque année, le projet de loi de finances (PLF) rythme le débat public autour des prévisions de croissance de l’économie nationale et de ses perspectives d’évolution. Le PLF 2023 ne fait pas exception. Ses hypothèses optimistes quant à l’atténuation des tensions géostratégiques, la baisse des cours des produits alimentaires, la stabilisation des prix de l’énergie, ou encore la reprise de la production céréalière nationale, suscitent des réactions mitigées. Par ailleurs, par le biais de ce projet, l’exécutif se fixe quatre axes prioritaires d’intervention qui sont, de l’avis de tous, d’une grande ambition : le renforcement des bases de l’état social, la relance de l’investissement, la consécration de la justice territoriale et le rétablissement des marges budgétaires.

Afin de questionner les hypothèses qui sous-tendent les projections de croissance de l’économie nationale ainsi que les leviers à mobiliser au vu des ambitions déclarées, l’Institut Groupe CDG a organisé mardi 22 novembre une rencontre en ligne sous le thème : « Comment se présente 2023 ? », qui a réuni des économistes et experts de différents horizons :

-Javier Diaz Cassou, Senior Economist, World Bank Group

-Fatima Ezzahra El Mansouri, Responsable Gestion de portefeuilles, CDG

-Taoufik Abbad, Chef de la division synthèses macroéconomiques, DEPF, MEF

-Karim El Mokri, Economiste Chercheur

Perspectives de croissance globalement positives pour l’économie nationale

Malgré la multiplicité des chocs internes et externes auxquels doit faire face l’économie nationale, les perspectives d’évolution de celle-ci demeurent positives, avec une fourchette de croissance très optimiste allant de 3.1% à 4.5% selon les différentes institutions. Ces prévisions tiennent compte du ralentissement prévu de la croissance au niveau de la zone euro, principal partenaire commercial du Royaume, du changement de cycle en matière de politique monétaire, ainsi que des effets négatifs de la hausse des prix sur la consommation des ménages.

Ainsi, comme l’a souligné Javier Diaz Cassou, « l’économie marocaine a des atouts importants, surtout sa résilience et un cadre macro-économique et des institutions en charge des politiques publiques qui sont très solides […]. Même dans un contexte incertain, l’économie marocaine continuera de croître à un niveau au-dessus de l’économie mondiale ».

En effet, l’économie nationale affiche actuellement plusieurs signes de reprise : taux d’utilisation des capacités de production supérieur à 70% selon la dernière enquête de Bank Al-Maghrib, hausse des créations d’emplois en milieu urbain au deuxième trimestre et baisse du taux de chômage global, vigueur des exportations hors phosphates et dérivés, plus de 60 mille créations d’entreprises à fin septembre, etc. Tout ceci dénote un dynamisme de la reprise économique, grâce notamment à la solidité des secteurs productifs et de la confiance des agents économiques dans l’environnement national des affaires.

Pour ce qui est des hypothèses du PLF jugées très optimistes, il est à noter que :

-Le taux de 4.5% annoncé est un objectif de croissance visé par l’exécutif, afin de stabiliser la croissance adin que celle-ci soit inclusive, soutenable et durable ;

-Les prévisions pour la production céréalière sont partagées par l’ensemble des institutions (BAM, HCP, etc.). A l’heure actuelle, il est très hypothétique de parler d’une campagne céréalière compromise. On a assisté par le passé à plusieurs épisodes de rattrapage de pluviométrie.

Il faut toutefois signaler la persistance de certains risques qui pourraient peser sur les performances de l’économie nationale : la dégradation de l’environnement géostratégique et son impact sur les prix des produits énergétiques et alimentaires, ou encore la réaction de l’économie face à la hausse de certains taux fiscaux prévue par le PLF 2023. Par ailleurs, la poursuite des politiques monétaires restrictives aux Etats-Unis et au niveau de la zone euro risque de serrer davantage les conditions de financement sur les marchés de capitaux internationaux. Ceci devrait pousser le Trésor marocain à recourir à des tirages auprès du FMI.

Une politique budgétaire ayant permis d’absorber les chocs externes et internes…

Grâce aux réformes structurelles engagées par le Royaume, ayant notamment permis d’améliorer la productivité des facteurs, de maintenir le dynamisme des exportations et du marché du travail à travers la création d’emplois qualifiés, le Maroc a pu dégager des marges de manœuvre qui lui ont permis de faire face à la multiplicité des chocs externes et internes subi par son économie.

En effet, les finances publiques ont été secouées par une succession de chocs externes (la pandémie de la covid, les répercussions de la crise russo-ukrainienne, etc.) et se sont traduites par l’augmentation du niveau du déficit budgétaire et de la dette publique. La politique budgétaire a joué un rôle crucial pour la maîtrise de la propagation de la hausse des prix et la relance de l’activité, grâce notamment aux marges dégagées auparavant.

A cela s’ajoute le poids des réformes structurelles déjà engagées et celles en cours de déploiement, notamment les chantiers relatifs aux secteurs de la santé, de la protection sociale et de l’éducation. L’axe de consolidation des marges budgétaires annoncé par l’exécutif est d’une importance cruciale pour financer les réformes engagées.

L’exercice de revue des dépenses publiques qui vient d’être lancé avec la Banque mondiale s’insère parfaitement dans cet esprit. Il vise à effectuer une analyse holistique des comptes publics et à identifier les postes où il serait possible de dégager des marges budgétaires supplémentaires ou bien de créer de nouvelles ressources. L’objectif est d’optimiser la gestion des ressources budgétaires.

… Tout en dégageant des marges pour le financement de l’investissement

Le Maroc dispose ainsi de marges de manœuvre budgétaires lui permettant d’enchainer les réformes structurelles pour maintenir la croissance potentielle de son économie. A ce niveau, l’investissement a toujours été considéré comme un vrai levier de développement. Cette volonté a été clairement affichée au cours de ces dernières années et sera intensifiée encore davantage dans les années à venir.

Le PLF 2023 prévoit une enveloppe globale de 300 milliards de dirhams d’investissements publics, en hausse de 55 milliards par rapport à 2022. Plusieurs mesures d’accompagnement sont prévues : le déploiement du Fonds Mohammed IV pour l’Investissement, la mise en œuvre de la charte de l’investissement ainsi que les réformes d’envergure qui concernent les entreprises publiques.

Cette dynamique d’investissement nécessite bien évidemment un grand effort pour en assurer le financement. Il convient de noter à ce niveau que la programmation budgétaire triennale établie par le ministère des finances fixe un objectif de déficit budgétaire de 3.5% à l’horizon 2025 afin de stabiliser et de maintenir la dette du Trésor à moins de 70% du PIB. Toutefois, le gouvernement dispose d’un « espace budgétaire » et de marges de manœuvre qu’il envisage de mobiliser afin d’accompagner l’effort d’investissement annoncé :

-3% du PIB relatifs à l’exploitation du potentiel fiscal, suite notamment à l’élargissement de l’assiette fiscale, à l’amélioration du recouvrement et des dépenses ainsi qu’à la modernisation de l’administration fiscale ;

-Entre 1% et 1.5% du PIB à dégager à travers la rationalisation des dépenses publiques : dépenses du personnel, du matériel, consommation de biens et services, etc.

-2% du PIB grâce à des mécanismes de financement innovants afin de générer des liquidités supplémentaires pour financer les projets d’infrastructure.

Les transferts des MRE constituent un levier supplémentaire pour renforcer l’investissement national. Plusieurs initiatives ont été déployées afin d’encourager et de stimuler la participation des MRE, notamment la création d’une plateforme d’information et d’orientation qui facilite les démarches d’investissement, la mobilisation des agences urbaines et des CRI, ainsi que la mise en place de guichets uniques.

Toutefois, ces objectifs ne pourraient être atteints si la croissance potentielle de l’économie nationale n’est pas renforcée à travers l’allocation efficace et optimale des facteurs de production et le renforcement de la productivité.

Renforcement des bases de l’Etat social

Le PLF 2023 fait de la généralisation de la couverture de la protection sociale un des axes d’intervention prioritaires du gouvernement. Ceci devrait néanmoins être accompagné par l’amélioration des services publics de santé, afin d’éviter le manque d’attractivité dont a souffert le régime du RAMED auparavant. Il faut également trouver des solutions au problème de la couverture territoriale des CHU et des infrastructures sanitaires, au déficit en termes d’effectifs des médecins, des techniciens de santé et des infirmiers, de la qualité d’accueil et des soins, etc.

Il convient de noter à ce niveau que le concept d’Etat social n’est pas uniquement synonyme de la généralisation de la couverture de la protection sociale, mais qu’il englobe également la qualité des services publics en général, des politiques économiques de soutien à l’emploi, de la régulation des relations sur le marché du travail, du maintien du pouvoir d’achat des citoyens, etc.

C’est ainsi que Karim El Mokri a insisté sur le fait que « les réformes requièrent l’adhésion des citoyens et leur confiance. La confiance requiert deux ingrédients : des actions de court terme qui ont un impact sur la vie des citoyens et une justice lorsqu’il s’agit de supporter le coût de ces réformes ».

Politique monétaire et gestion de l’épargne

Bank Al-Maghrib a pris la décision au mois de septembre d’augmenter le taux directeu de 50 points de base pour le porter à 2%. Ceci a provoqué l’augmentation de la volatilité des cours sur les marchés financiers nationaux qui demeurent aujourd’hui fragiles et en attente des prochaines décisions de la banque centrale.

Il convient de noter que ce premier resserrement de politique monétaire entamé par Bank Al-Maghrib n’est pas curatif et qu’il a essentiellement pour objectif d’agir sur les anticipations d’inflation des opérateurs économiques marocains.

Toutefois, cette hausse des taux est une aubaine pour les épargnants, puisqu’elle va augmenter les taux réels servis, après plus d’une décennie de taux très bas. Les perspectives d’évolution des marchés de capitaux demeurent globalement positives. En effet, comme évoqué par Fatima Ezzahra El Mansouri, « la crise du covid est derrière nous, les agrégats macro-économiques du Maroc sont solides, le déficit budgétaire a été maintenu en dessous de 5% du PIB. Ça nous laisse présager une année 2023 qui ramènera de la stabilité et beaucoup d’opportunités sur les marchés ».

Une trajectoire résiliente et bas carbone à moyen terme pour le Maroc ?

Le changement climatique peut impacter la trajectoire d’évolution de l’économie marocaine. Les chocs pluviométriques expliquent 37% de la volatilité de la croissance. L’adaptation est donc essentielle, notamment à travers la gestion de la rareté de l’eau à court terme via le développement des infrastructures traditionnelles et non traditionnelles. Mais ceci n’est pas suffisant, il faut travailler à moyen et long terme sur la gestion de la demande et sa rationalisation.

En matière d’atténuation, le Maroc gagnerait à décarboner son économie. Même si le Royaume est un pays à faibles émissions de gaz à effet de serre, son intégration aux économies européennes qui affichent des ambitions claires dans ce sens, son taux d’investissement élevé de 30% du PIB en moyenne et les infrastructures qu’il a déployées dans le secteur des énergies renouvelables le positionnent pour faire de la décarbonation une opportunité lui permettant de consolider sa croissance à moyen et long terme.

En conclusion, les crises récentes peuvent bien être une aubaine pour le Royaume. Comme a tenu à le souligner Taoufik Abbad, « il y aura des crises à répétition et on doit les saisir comme des accélérateurs […]. On doit accompagner les mouvements qui s’opèrent au niveau mondial et renforcer notre capacité d’adaptation et de résilience »

(Institut Groupe CDG)

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