- Des salaires élevés, un cadre de travail réglementé et une expérience à l’étranger poussent les travailleurs marocains du tourisme à migrer à l’étranger
- Le Qatar, Malte, les Emirats Arabes Unis, le Canada et l’Allemagne sont les principales destinations
- L’absence de cadre juridique régissant la pratique et de définition des catégories socioprofessionnelles du tourisme empêche la structuration des emplois et des salaires
«Dans une seule opération, 402 personnes ont été recrutées en CDD renouvelable pour travailler au Qatar principalement dans le secteur de l’hôtellerie. Ce pays organise chaque mois des recrutements au Maroc pas seulement pour répondre aux besoins de la Coupe du monde de Football en 2022 mais aussi pour attirer des citoyens. Le besoin se chiffre en milliers de personnes qualifiées ou pas surtout dans l’hôtellerie. Les offres sont alléchantes! Le salaire minimum commence à 5000 dirhams avec prise en charge complète (billet d’avion, frais de visa, hébergement et repas)», déclare d’emblée M. Zakaria Harnafi, secrétaire général de la fédération marocaine des arts culinaires. Pour des salaires plus élevés, un cadre de travail réglementé, une stabilité de l’emploi et une expérience à l’étranger…, la main d’œuvre marocaine du tourisme fuit le pays pour d’autres cieux plus cléments. Le Qatar n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les Emirats Arabes Unis, le Koweït, Malte, le Canada, et l’Allemagne recherchent également des candidats marocains dans la cuisine, la pâtisserie, la restauration, le service et la réception… «L’île de Malte a elle recruté depuis le début d’année plus de 172 personnes. Les candidats se sont vus proposer des contrats d’un ou deux ans renouvelables dans la restauration, le service, les femmes de chambre, les réceptionnistes… Les salaires vont de 1000 à 1400 euros avec prise en charge. Seules conditions: parler anglais et avoir un diplôme ou une expérience», déclare M. Jalil Madih, DG d’Alizés Travel et consul honoraire de Malte au Maroc.
Un marché du travail limité au Maroc
Les raisons de cette «hémorragie»: un marché du travail exigu et précaire souvent mal payé pour quelques milliers de lauréats chaque année. «La pénurie d‘emplois dans le tourisme date d’avant 2019 soit avant la crise du Covid. Les hôtels recrutent occasionnellement et s’appuient généralement sur les stagiaires, une main d’œuvre quasi-gratuite et corvéable à merci notamment en période de forte affluence», témoigne la directrice d’un complexe de formation aux métiers du tourisme et de l’hôtellerie de l’OFPPT à Marrakech. D’ailleurs, vu la taille du marché et afin d’optimiser les moyens notamment pour améliorer l’apprentissage dans les filières de production, ce centre a baissé le nombre d’étudiants passant de 3000 à 1900 étudiants aujourd’hui. «Nous mettons sur le marché 1000 lauréats par an à Marrakech. La majorité de nos lauréats trouvent un poste dans le tourisme mais le taux de turnover est très élevé. Les lauréats ne dépassent pas 3 mois voir même 6 mois dans un poste. Quelques uns travaillent dans la vente de détail dans les boutiques des Malls, à l’aéroport et dans l’accueil alors que d’autres changent complètement de secteur d’activité», déclare la directrice de l’établissement de formation. Au-delà de la précarité du travail dans le tourisme, il existe un autre problème structurel dans le secteur: celui de l’absence d’un cadre juridique régissant l’emploi dans le tourisme.
Nécessité de définir les catégories socioprofessionnelles du tourisme
D’après M. Zakaria Harnafi, l’absence de cadre juridique régissant la pratique et l’inexistence de définition des catégories socioprofessionnelles et de conventions collectives plombe son attractivité pour les lauréats. «A titre d’exemple, un chef de cuisine peut être rémunéré à 3000 dirhams/mois comme à 12.000 DH. Il n’y a pas de règle d’autant plus que le tourisme est très saisonnier avec des investissements désordonnés. Nous militons pour obtenir un cadre juridique propre mais il faudra impliquer les ministères de l’emploi et des compétences, de la justice et du tourisme dans ce grand chantier qui ne semble pas prioritaire malheureusement», explique cet ancien chef cuisinier reconverti dans la formation professionnelle. Pour mieux cerner les maux du secteur, il prépare une thèse universitaire sur les RH appliqués au tourisme. Mais pour accéder aux emplois à l’étranger, les lauréats doivent connaître les langues étrangères. «L’Allemagne recherche, par exemple, des chefs cuisiniers et des pâtissiers et exige un niveau de connaissance intermédiaire en langue allemande. Malheureusement, nos lauréats ne donnent pas d’importance aux langues. Malgré la mise en place d’une plateforme interactive pour apprendre les langues et notamment l’anglais appliqué au tourisme, l’engouement n’est pas au rendez-vous. Cela se répercute sur leur niveau en langues étrangères et leur capacité à accéder à des postes à l’étranger malgré leurs compétences techniques souvent très honorables…», déplore la directrice d’établissement. Ceux qui arrivent à tirer leur épingle du jeu et accélèrent l’apprentissage des langues partent vers des cieux plus cléments. L’hémorragie continuera sauf en cas de structuration du marché du travail dans le tourisme. Qui dit structuration dit décroissance de l’informel et amélioration des investissements touristiques structurés et des emplois de qualité.
Wiam Markhouss