21 novembre 2024

Comment le Maroc peut-il relever les défis et atténuer les contraintes touristiques?

Dr Hafid Ouchchak vient de publier 3 livres d’un seul coup, traitant des états généraux de gestion de la stratégie touristique au Maroc, conforté dans ses thèses par une riche carrière au service du tourisme au Maroc dont il est un défenseur dans plusieurs pays du monde. Normal quand on sait que tout le prédestinait d’ailleurs à embrasser une carrière dans le tourisme qui, chez lui, est d’abord une passion avant d’être une conviction. Déjà sa thèse de doctorat convergeait avec ses choix futurs, décrochée auprès de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah sous le thème «le secteur touristique au Maroc ; réalités et contraintes de développement». Tout était passé au crible, aussi bien la promotion que la gouvernance régionale et autres grandes questions qui embarrassent encore la dynamique touristique dans notre pays et dont Dr Hafid Ouchchak a une véritable connaissance, voire des clefs de solution pour faire gagner le produit Maroc en maturité stratégique et outils efficaces d’opérationnalité sur le terrain.

Une opérationnalité qui s’est vérifiée sous diverses casquettes professionnelles dans sa carrière par la suite, entamée d’abord par Chargé de Mission au département de l’Aménagement et de l’Equipement Touristique en 1984, puis Délégué Régional du Tourisme à Al Hoceima en 1986, avant de devenir Délégué Régional du Tourisme à Tétouan en 1987 et, une année après, Délégué Régional à Oujda en 1988. Trois bonnes années au service du tourisme régional, suffisantes pour le promouvoir Président du Département de Coordination des Délégations du Tourisme et, en même temps, Conseiller auprès du Président de la Société Régionale d’Aménagement de Saidia Rass Kebdana en 1989. En 1990, retour aux sources : il met le cap sur la Délégation du Tourisme d’Agadir, coïncidant avec la mémorable visite royale à la destination puis, sept mois après, il regagne Fez où il fut nommé Délégué Régional du Tourisme pendant 4 années d’affilée dans une destination certes difficile mais dont il est parvenu à manager les affaires touristiques avec intelligence et parité. Passage quaternaire réussi qui l’appela à prodiguer son expertise ailleurs pour développement. En effet, il s’envole pour Essaouira en tant que Délégué Régionale dans la Cité des Alizés en 1994 qu’il quitta au bout d’une année de loyaux services en direction, cette fois, l’ONMT où il était responsable chargé du Tourisme Arabe au département de l’Animation Touristique pendant une année avant de devenir Inspecteur de la Direction des Propriétés à l’Office.

Les trois ouvrages qu’il sort aujourd’hui sont un regard contributif d’un expert assez rôdé au secteur pendant plus de 30 années de responsabilités au niveau central et régional, lesquelles responsabilités lui ont permis de pénétrer les secrets de cette administration et d’acquérir ainsi une expérience, aussi modeste soit-elle, afin de pouvoir présenter des propositions de rénovation du secteur national du tourisme.

Entretien…

Pouvez-vous nous donner un aperçu sur les thématiques développées dans vos 3 livres ?

D’abord, Dans le premier ouvrage intitulé « Concepts et choix économiques à caractère politique du tourisme au Maroc », nous explorons en détail le paysage mondial du tourisme, en définissant les concepts clés associés au tourisme et au touriste. Nous examinons les différents types de tourisme pratiqués à travers le monde, avec un accent particulier sur les flux touristiques en Méditerranée. De plus, nous analysons les débuts et le développement du tourisme au Maroc depuis l’époque du Protectorat, en le comparant à d’autres pays concurrents tels que la Turquie, l’Egypte et la Tunisie.

Le deuxième ouvrage, « Approche critique de la politique touristique au Maroc », se concentre sur une évaluation approfondie de la situation actuelle du secteur touristique marocain. Il met en lumière les forces et les faiblesses du secteur, en examinant les contraintes qui entravent son développement et en identifiant les opportunités potentielles à exploiter. Cette analyse critique repose sur des données de terrain et vise à fournir une perspective éclairée sur les défis et les perspectives d’amélioration du secteur.

Quant au troisième ouvrage, « Tourisme au Maroc, réforme et enjeux de la régionalisation », il se concentre sur l’évaluation des nouvelles politiques touristiques au Maroc, telles que définies par les visions « 2010 » et « 2020 ». Ce livre explore l’impact de la mondialisation sur le tourisme, ainsi que les avancées technologiques dans les transports et les communications. Il met en avant les programmes récents lancés par le Maroc, conçus pour tirer des leçons des échecs passés, promouvant un partenariat public-privé et s’inscrivant dans une vision à long terme pour le développement du tourisme. De plus, il discute de l’importance de la régionalisation comme levier stratégique pour revitaliser le tourisme marocain, en dépassant les divisions artificielles des régions touristiques pour une approche plus intégrée et efficace…

Partant de ce constat, comment décrivez-vous les défaillances du tourisme marocain ?

Malheureusement, la problématique du tourisme au Maroc réside dans son incapacité à pleinement exploiter son potentiel naturel, historique et culturel, ainsi que sa riche civilisation, pour en faire une locomotive de développement économique à l’échelle nationale, régionale et locale, comme le font avec succès plusieurs pays concurrents du pourtour méditerranéen. Malgré les objectifs fixés dans divers plans et programmes de développement, le secteur touristique marocain est confronté à plusieurs défis et contraintes significatives.

1. Contraintes liées à la gouvernance du secteur: La gouvernance présente des lacunes notables, avec une instabilité ministérielle fréquente et des changements d’orientation brusques. Les nominations de responsables peu expérimentés dans le domaine du tourisme, ainsi que des niveaux de compétence et de formation souvent insuffisants parmi les cadres, entravent le développement stratégique du secteur. De plus, l’absence de méthodologies adaptées pour la gouvernance impliquant un large éventail d’acteurs du secteur public et privé aux niveaux national, régional et local est une autre faiblesse critique.

2. Contraintes liées aux programmes d’aménagement touristique: Malgré de nombreuses études réalisées depuis les années 1970, les recommandations pertinentes n’ont pas été efficacement mises en œuvre, entraînant un gaspillage considérable de fonds publics.

3. Contraintes liées aux investissements et à leur financement: Les modifications imprévues des avantages fiscaux accordés par le Code de 1983 ont affecté négativement les investissements touristiques, compromettant les résultats escomptés.

4. Contraintes fiscales: Le secteur du tourisme est soumis à une charge fiscale lourde, ce qui affecte la rentabilité des établissements et des investissements touristiques.

5. Contraintes liées aux programmes d’animation: Les initiatives d’animation touristique sont souvent limitées à des festivals ponctuels et ne sont pas intégrées de manière continue et spontanée, comme illustré par le cas emblématique de la Place Jamaa El Fna à Marrakech.

Photo: Avec le Président de la république de Malte, George Vella, lors du Forum Méditerranéen du Tourisme

6. Problèmes de promotion et de commercialisation: La bureaucratie et l’inefficacité administrative entravent la stratégie de promotion du tourisme marocain, affectant son positionnement concurrentiel sur le marché international.

7. Coordination institutionnelle: Plusieurs organismes chargés de la promotion du Maroc agissent de manière indépendante sans coordination efficace, ce qui limite l’efficacité de leurs efforts combinés.

8. Diversification insuffisante du produit touristique: Le Maroc se concentre principalement sur le tourisme balnéaire et culturel, au détriment d’autres segments potentiellement lucratifs.

9. Formation professionnelle: Les programmes de formation dans le secteur du tourisme souffrent de manque de coordination entre les divers intervenants, compromettant l’efficacité et l’uniformité des normes.

10. Cadre institutionnel et réglementaire: La réglementation des professions et des activités touristiques est souvent obsolète et lacunaire, entravant la croissance régulière du secteur.

11. Problèmes liés aux infrastructures de transport: Le développement du tourisme est entravé par des infrastructures de transport aérien, maritime et terrestre souvent insuffisantes ou mal adaptées aux besoins du secteur.

12. Défis sociaux et environnementaux: Le développement touristique peut avoir des effets négatifs sur les populations locales, nécessitant une adoption urgente des principes du tourisme durable pour atténuer les impacts environnementaux et sociaux néfastes.

13. Problèmes fonciers et de financement: Les obstacles liés à la gestion des terrains et aux mécanismes de financement représentent également des défis importants pour le développement du secteur touristique.

Ce qui veut dire : pour que le Maroc puisse pleinement capitaliser sur ses atouts touristiques, il est impératif de tenir véritablement en compte ces multiples défis de manière stratégique et coordonnée, afin de réagir en adoptant des réformes efficaces et en renforçant la coopération transparente et communicante entre les secteurs public et privé pour assurer un développement durable et profitable du tourisme dans notre pays…

Photo: Avec l’ex-Présidente de la république de Croatie

Au vu de cet ensemble de contraintes, comment promouvoir le tourisme marocain dans ces conditions?

En effet, la situation est particulièrement préoccupante. D’ailleurs, nous avons conclu qu’une stratégie viable pour le développement du secteur touristique au Maroc, visant à en faire un moteur de croissance économique nationale et à stimuler le développement des régions défavorisées, serait de tirer parti de la « régionalisation avancée ». Cette approche consisterait à développer des produits touristiques régionaux spécifiques, inspirés par le modèle de réussite observé en Espagne où chaque région a su construire une identité forte et attrayante.

Pour améliorer le système touristique national, il est impératif de mettre en place un conseil de surveillance institutionnalisé, régulièrement mis à jour et doté des ressources nécessaires pour anticiper les besoins d’un secteur en constante évolution.

La transformation du secteur touristique, à l’instar des tendances mondiales, nécessite une amélioration significative de la qualité des services et une plus grande flexibilité en matière de cadre réglementaire pour l’investissement et la formation professionnelle.

L’intégration des nouvelles technologies de l’information et du numérique est devenue indispensable dans toutes les facettes des activités touristiques : de la collecte de données et des analyses statistiques à la promotion internationale et nationale, en passant par la gestion des voyages, des transports et la fidélisation de la clientèle, de plus en plus informée et connectée. Enfin, pour relancer efficacement le tourisme au Maroc, il est primordial de capitaliser sur la région administrative comme levier essentiel de développement, en complément des destinations touristiques existantes. Cette approche permettrait de diversifier l’offre touristique et de maximiser l’impact économique et social à travers tout le pays.

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