Tandis que les grues s’activent sur les futurs stades du Mondial 2030 et que le Maroc finalise ses infrastructures sportives, touristiques et logistiques, un autre chantier, moins visible, mais tout aussi décisif et alarmant, retient l’attention des observateurs : la dégradation du civisme dans l’espace public.
C’est, en tout cas, ce que l’on peut en déduire dans un récent sondage de l’ong Centre marocain pour la citoyenneté (CMC), publié en mai 2025. Celui-ci met en lumière un malaise social que ni le béton, ni la technologie ne peuvent résoudre. Donc, on comprend que derrière les ambitions sportives mondiales, c’est l’état du tissu humain, éthique et civique qui interroge.
Réalisée entre le 10 février et le 13 mars 2025 auprès de 1 173 répondants via un questionnaire en ligne, l’enquête du CMC fait ressortir un désenchantement citoyen à plusieurs niveaux :
-84 % des participants dénoncent une agressivité systémique dans les services touristiques.
-81 % pointent le manque de propreté dans les lieux publics, y compris dans les grandes villes comme Casablanca ou Marrakech.
-69 % évoquent le harcèlement fréquent dans l’espace public, notamment à l’encontre des femmes.
-Seulement 12 % jugent satisfaisant le niveau de politesse au quotidien.
Ces chiffres sont frappants non par leur brutalité, mais par leur constance dans toutes les strates géographiques et sociales, y compris chez des citoyens jeunes, diplômés, urbains, le profil majoritaire des répondants.
« Le civisme n’est plus spontané. Il doit désormais être enseigné, structuré et encadré comme une compétence publique », affirme le président du CMC, Abdellah Saaf, dans une alerte au ton grave. En creux, le sondage révèle une fatigue sociale diffuse, nourrie par l’érosion lente des valeurs de respect, de responsabilité collective et de vivre-ensemble.
Ce constat contraste avec les avancées éducatives et numériques du Maroc de la dernière décennie. L’accès massif à l’éducation n’a pas suffi à endiguer une montée des incivilités : incivilités routières, jets d’ordures, impolitesse banalisée dans l’administration ou les transports.
Au-delà de la solidité d’un stade de foot ou la ponctualité d’un vol et la disponibilité suffisante d’hébergement, l’accueil d’un événement comme la Coupe du Monde engage plutôt un climat social général, un sentiment de sécurité, de respect, de qualité de service, tous des éléments fortement corrélés au civisme.
D’après les commentaires du sondage rapportés par le CMC, un touriste qui se sent agressé verbalement dans un taxi à Marrakech ou bousculé dans un marché populaire retiendra cette impression autant, sinon plus, qu’un match de football. Le soft power du Maroc repose aussi sur son hospitalité, mais celle-ci doit se réinventer à l’heure où les incivilités deviennent la norme.
Face à cette réalité, l’enjeu pour le Maroc devient pédagogique et culturel.
Quelques pistes concrètes issues du rapport sont toutefois recommandées par ce dernier et qui, en passant, tiennent vraiment la route:
-Intégration du civisme dès l’école primaire comme matière transversale.
-Campagnes de sensibilisation continues sur la civilité urbaine, la propreté, le respect de l’espace commun (sur le modèle de ce qu’a fait le Rwanda à Kigali ou Singapour).
-Formations civiques dans les métiers de contact (chauffeurs, hôteliers, restaurateurs), avec certification à la clé.
-Valorisation des comportements vertueux par des dispositifs d’incitation locale (récompenses municipales, labels de quartier, etc.).
Le Maroc a, sans conteste, les moyens techniques, financiers et diplomatiques d’honorer ses engagements pour la Coupe du monde. Mais pour en faire une réussite humaine, il lui faudra reconstruire ce qui ne se voit pas : le respect, la civilité, l’attention à autrui. Non pas par nostalgie morale, mais parce que c’est désormais une exigence stratégique.
Si on peut s’autoriser de parler de transparence, chaque touriste est aussi un média. Chaque comportement individuel devient un témoignage collectif.
Le civisme est une infrastructure invisible. Et si le Maroc veut gagner son pari en 2030, il devra aussi réinvestir dans ce ciment humain, au risque que les plus beaux stades du monde ne soient visités que… par des critiques




