Il semble que Marrakech est en train de vivre une croissance touristique « insolente »… mais pour qui?
En juin 2025, Marrakech, avec son aéroport Ménara, reste en tête de la manne touristique nationale, concentrant 27 % des arrivées à l’échelle nationale, devant Casablanca et les postes terrestres du Nord .
Ce boom apparent est certes flatteur, mais cache une fracture croissante entre les flux touristiques et l’économie réelle de l’hôtellerie urbaine traditionnelle. Le cas de Marrakech est emblématique : alors que les statistiques s’emballent, plusieurs établissements emblématiques du centre-ville sont à l’arrêt, en mutation floue ou dans l’ombre de groupes internationaux. On serait même tentés de dire que ce sont des hôtels fantômes dans un parc en déclin structurel.
Voici un état des lieux précis et alarmant des établissements jadis emblématiques de la ville ocre :
-Hôtel Agdal Marrakech: Longtemps favori du quartier de Guéliz, sa disparition progressive du circuit commercial et touristique intrigue. Selon des sources croisées, l’établissement serait en passe d’être vendu, voire déjà cédé discrètement à des investisseurs privés, mais aucune annonce publique n’a confirmé la transaction à ce jour. Sa situation stratégique sur l’avenue Hassan II en fait une cible de choix pour des projets de réhabilitation à fort rendement locatif.
-Hôtel Le Marrakech & Hôtel Menara: Deux établissements fermés depuis plusieurs années. Leurs façades défraîchies cachent une incertitude structurelle. Aucun permis de réhabilitation clair n’a été signalé, aucun projet de reprise rendu public. Ces hôtels peuvent facilement devenir les prochains “boutiques hôtels” ou résidences de standing, dans le sillage de la spéculation foncière dans le centre-ville.
-Hôtel Boustane: Un cas révélateur d’un changement de nature. Jadis modeste, il serait actuellement traité en “studios à la vente”, selon des informations provenant de transactions off-market. L’opérateur immobilier Yamed Capital aurait été cité dans les négociations, mais aucun acte n’a encore été enregistré publiquement. Si l’option se confirme, ce serait un exemple net de la disparition d’une hôtellerie moyenne, absorbée par le marché résidentiel.
-Hôtel Sahara Inn: Invisible dans le paysage touristique actuel, il semble fermé et en abandon total. Aucune trace opérationnelle en ligne ni activité recensée, ce qui évoque soit une vente discrète, soit une faillite latente.
-Semiramis est le joyau convoité. L’un des rares hôtels de grand volume encore en activité à Guéliz serait en discussion de cession avec un groupe indien, selon des indiscrétions internes. La transaction, si elle se concrétise, refléterait l’intérêt croissant d’investisseurs non-européens pour les actifs hôteliers marocains, moins chers que leurs équivalents à Dubaï ou à Lisbonne.
Dans ce paysage incertain, un acteur hôtelier aux ambitions tentaculaires se distingue par sa stratégie d’implantation locale : le groupe Pickalbatros. Déjà bien établi dans l’hôtellerie, il chercherait à étendre sa présence à Marrakech via des partenariats symboliques. Il aurait proposé au Kawkab Athlétique Club de Marrakech un sponsoring annuel de 2,5 millions de dirhams. Bien sûr, cela lui offrirait un ancrage émotionnel local, tout en préparant potentiellement l’acquisition ou la construction d’un complexe hôtelier dans la région. Le sport, ici, devient une carte maîtresse pour asseoir la légitimité territoriale d’un groupe international.
D’un tout autre niveau, les chiffres nationaux masquent une réalité à double vitesse. D’un côté, les plateformes de location touristique explosent (notamment Airbnb, non mentionné dans les statistiques officielles), captant une part croissante des flux. De l’autre, l’hôtellerie classique, vieillissante, se vide ou se transforme silencieusement, faute d’investissements ou de rentabilité.
Mutation discrète, mais capitale, réside en effet dans cette explosion des plateformes comme Airbnb, qui échappent en partie aux statistiques officielles. Ces locations « grises », souvent non déclarées, captent une part croissante des flux, détournant les touristes des circuits hôteliers traditionnels. En 2024, selon une estimation du cabinet Hospitality Insight Africa, près de 41 % des nuitées à Marrakech auraient été réalisées hors du périmètre hôtelier formel.
Cette économie parallèle, boostée par des taux d’occupation élevés et une absence de régulation efficace, remet en question le rôle de l’hôtel classique dans l’écosystème urbain. Résultat : un parc en perte de valeur, des emplois supprimés et des savoir-faire en voie de disparition.
Marrakech devient ainsi le terrain de jeu et un cimetière d’hôtels historiques, tous deux invisibles dans les bilans comptables mensuels.
Le paradoxe entre hausse des arrivées et crise silencieuse de l’hôtellerie doit interpeller. L’État met en avant les flux d’entrées, mais reste en retrait sur la protection, la reconversion et la valorisation du parc hôtelier urbain. Or, derrière chaque hôtel fermé, il y a des emplois perdus, une histoire urbaine effacée et un modèle économique qui s’effrite.
Il est temps de sortir de la simple euphorie statistique et de regarder les murs qui tombent derrière les colonnes Excel.




