L’annonce, le 18 juillet 2025, de l’acquisition par RISMA de l’intégralité des titres du Centre Multifonctionnel de Guéliz (CMG), société propriétaire de l’hôtel Radisson Blu Hotel Marrakech Carré Eden ainsi que du centre commercial Carré Eden, est inédite dans l’histoire de la première foncière hôtelière marocaine. Mais derrière l’opération, chiffrée à 931 millions de dirhams, se joue bien plus qu’un simple changement d’actionnariat. Elle paraphrase les tensions entre gestion d’actifs, logique immobilière et vision opérationnelle dans un secteur hôtelier en pleine recomposition.
Contrairement à la norme dominante, où les hôtels sont exploités via des baux ou des franchises sans détenir les murs, RISMA entame ici une étape d’intégration verticale totale. En rachetant l’immobilier, en plus du fonds de commerce qui le sous-tend, l’opérateur s’investit en propriétaire-exploitant à part entière.
C’est une stratégie atypique sur un marché comme le Maroc, où le secteur hôtelier est historiquement compartimenté : les promoteurs développent, les foncières détiennent les actifs, et les groupes hôteliers exploitent via contrats de gestion. RISMA rompt ce modèle.
L’objectif ? Sécuriser ses positions à long terme dans une destination prospère comme Marrakech, où la pression foncière et la volatilité des actifs rendent les montages classiques de plus en plus contraignants.
La valorisation de CMG à 931 millions de dirhams, ramenée à 524 millions de dirhams nets de dette, est sujette à plusieurs lectures. Elle suggère un multiple élevé, difficile à justifier uniquement par les performances opérationnelles du Radisson Blu Hotel ou les loyers commerciaux du Carré Eden Shopping Center.
Un parallèle peut donc être établi avec des opérations similaires dans d’autres villes : à titre de comparaison, un actif hôtelier 5 étoiles similaire à Agadir s’est vendu à un multiple inférieur de 15 à 20 % en 2023. RISMA mise clairement ici sur un pari foncier et locatif long terme, avec une forte hypothèse de valorisation future.
Mais ce choix implique aussi un effet de croissance significatif. Si le montage s’appuie sur un financement bancaire partiel, comme cela est probable, la dette d’acquisition pourrait peser sur la trésorerie consolidée du groupe, d’autant plus dans un contexte d’augmentation des taux directeurs (actuellement à 3,75 % au Maroc contre 0,25 % dans la zone euro il y a encore deux ans).
L’opération implique deux cédants majeurs :
-Résidence Siyaha 2 (66 %), liée au Fonds Maghreb Siyaha, dont le mandat d’investissement arrivait à échéance, une sortie logique dans un horizon de désengagement.
-Cap Estate (34 %), filiale d’O Capital Group, conglomérat diversifié appartenant à l’homme d’affaires Othman Benjelloun.
Le retrait de ces investisseurs institutionnels traduit une recomposition silencieuse du capital touristique au Maroc, avec un passage de relais entre finance de développement et opérateurs privés intégrés. RISMA, en devenant propriétaire unique, s’assure une souveraineté totale sur un actif emblématique de l’hyper-centre marrakchi.
L’acquisition de CMG dépasse la seule logique hôtelière : elle donne à RISMA la main sur un centre commercial premium en activité -le Carré Eden Shopping Center- qui génère des revenus locatifs stables, indexés et peu cycliques, et diversifie ainsi le portefeuille du groupe.
Ce positionnement en acteur multifonctionnel ouvre à RISMA des possibilités inédites : Synergies opérationnelles entre hôtel et commerces (flux clients, offres combinées, attractivité du site), capacité de reconfiguration immobilière, voire de valorisation foncière à terme (air rights, surélévation, conversion partielle…) et amortissement naturel de la volatilité touristique par des loyers stables issus du retail.
C’est également un moyen de consolider son ancrage dans les zones centrales, alors que l’offre touristique marocaine se développe désormais surtout en périphérie ou en zones balnéaires neuves (Tamuda Bay, Taghazout, Dakhla).
Quel signal pour le marché hôtelier marocain? L’acquisition CMG par RISMA envoie plusieurs signaux clairs au marché des partenariats public-privé touristiques via des fonds structurés qui touche à sa fin. Le capital se recentralise autour d’opérateurs nationaux solides. Le foncier hôtelier redevient un actif stratégique, alors que la volatilité du tourisme mondial pousse à réintégrer les actifs physiques pour sécuriser les opérations. RISMA prépare une redéfinition de son modèle économique, moins basé sur la seule exploitation hôtelière et davantage sur la gestion d’actifs à rentabilité mixte.
Mais attention : cette montée en puissance dans la détention foncière peut alourdir les bilans, et limiter la flexibilité du groupe face à une éventuelle crise touristique. L’histoire récente du COVID-19 rappelle que posséder les murs ne protège pas contre les faillites d’activité.
En contrôlant simultanément l’exploitation, le foncier et les actifs commerciaux, RISMA adopte une posture de “full stack operator” dans un secteur jusqu’ici morcelé.
Mais ce changement n’est pas sans risque : entre concentration d’actifs, exposition au crédit et dépendance au marché marrakchi, l’équilibre financier du groupe dépendra désormais de la capacité à générer de la valeur au-delà de l’hôtel seul. Un défi à la hauteur de ses ambitions mais qui exigera rigueur, vision et agilité.




