Soleil constant, eaux claires, plages presque infinies… En apparence, Saidia déroule comme chaque été ses arguments naturels sans faille. Pourtant, derrière cette façade estivale brillante, l’affluence touristique vers la station enregistre un net recul en 2025, discret mais significatif.
Dans les artères de la Marina, les commerçants baissent leurs stores plus tôt. Les hôtels quatre étoiles, contrairement à ce que l’on peut imaginer en pareille période de rush, annoncent des taux d’occupation inférieurs à ceux attendus. Sur les parkings, les plaques étrangères -notamment belges, néerlandaises, françaises- sont moins nombreuses qu’à l’accoutumée.
Le constat est clair : la saison estivale 2025 est en demi-teinte. En cause : un enchaînement de facteurs concrets, mesurables et interconnectés. Cherté, raréfaction des MRE, baisse de consommation sur place : Saïdia paie cette année un triple contrecoup économique et social. Enquête sur les rouages d’une dynamique affaiblie.
Le premier phénomène visible est la montée des prix sur l’ensemble de la chaîne touristique locale. De l’hébergement à la restauration, en passant par les transports et les loisirs, les tarifs ont augmenté de 15 à 30 % par rapport à l’été 2024, selon les relevés effectués par les sondages régionaux.
Des exemples précis : Une nuit en hôtel 4 étoiles en juillet 2025 à Saïdia coûte en moyenne 1 500 à 2 000 DH, contre 1 200 DH il y a deux ans. Quant au ticket d’entrée pour certaines piscines privées ou parcs aquatiques a atteint 250 DH par personne, sans option repas. Tandis que le prix d’un taxi collectif entre Oujda et Saïdia a grimpé de 30 %, atteignant parfois 70 DH par passager, même en basse affluence.
Cette hausse, liée en partie à la flambée des coûts de l’énergie, à l’augmentation des salaires dans l’hôtellerie et à la revalorisation des produits alimentaires, a cependant été peu anticipée et mal expliquée aux visiteurs. Résultat : de nombreux touristes nationaux, notamment des familles venant de Fez, Meknès ou Oujda, ont réduit la durée de leur séjour à 2-3 jours au lieu d’une semaine.
Le second facteur, plus structurel, est la forte baisse de la présence des Marocains Résidant à l’Étranger, traditionnellement au cœur de l’économie touristique estivale du pays.
Selon les données de la Fondation Hassan II pour les MRE, le nombre d’arrivées de MRE dans la région de l’Oriental aurait baissé de près de 22 %. Les raisons de ce recul sont multiples mais précises :
-Prix des billets d’avion et de ferry très élevés en juin et juillet 2025, malgré les campagnes de réduction de RAM ou GNV. Certaines familles de 4 personnes venant de France ou de Belgique évoquent des billets dépassant les 2 500 €, une somme dissuasive pour des foyers de classe moyenne.
-Durcissement des conditions de congé en Europe, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, avec des périodes de vacances d’été plus courtes et parfois mal synchronisées avec les pics marocains.
-Et enfin, un report de séjour de nombreux MRE vers d’autres destinations marocaines jugées plus attractives ou plus authentiques, comme Tétouan, Nador, voire Al Hoceima, où l’offre s’est diversifiée.
Les maisons secondaires à Saïdia, habituellement ouvertes et animées par les MRE, sont restées en grande partie fermées cet été. Moins de consommation, moins de dépenses, moins d’animation commerciale. Le tissu économique informel en souffre directement : vendeurs de chaises sur la plage, taxis non affiliés, petits snacks, etc.
Moins de touristes, mais aussi des touristes qui dépensent moins. Ce troisième facteur est sans doute le plus inquiétant à long terme.
Les professionnels de la restauration locale sont unanimes : le ticket moyen par client a baissé de 20 à 35 % en deux ans. Dans les restaurants de la Marina ou sur la corniche, les familles commandent moins de plats, rognent sur les desserts, ou se rabattent sur des formules économiques. Même constat dans les cafés : la durée moyenne de présence chute, les consommations se limitent au strict nécessaire.
Témoignage d’un restaurateur de la Marina : « En 2024, une famille MRE prenait une table pour six, commandait poisson, salade, dessert, boisson… Aujourd’hui, on voit des couples partager un seul plat et refuser même l’eau minérale. »
Les loisirs n’échappent pas à la tendance : les balades en jet-ski ou en bateau, autrefois prisées, tournent à vide certains après-midis. Les agences de location affirment perdre 40 à 50 % de leur chiffre par rapport à l’été record de 2019.
Les effets de cette baisse se ressentent à plusieurs paliers. Certains secteurs ressentent déjà un choc durable. En première ligne, les établissements hôteliers contraints pour la plupart de geler les recrutements saisonniers, notamment dans les services de plage et de restauration. Décevant quand plusieurs commerces saisonniers de bord de mer n’ont pas rouvert cette année, faute de rentabilité. La pression s’exerce aussi sur les petites mains de l’économie estivale : vendeurs ambulants, animateurs, gardiens, agents de nettoyage de plage.
Certains n’ont pas été réembauchés cette saison, créant une tension sociale sourde mais réelle.
La municipalité de Saïdia, quant à elle, doit composer avec des recettes fiscales estivales en baisse, alors même que les coûts de maintenance (déchets, sécurité, infrastructures) augmentent.
Face à ce recul partiel mais significatif, plusieurs acteurs locaux, dont des hôteliers, agences de voyage, élus régionaux, appellent à repenser le positionnement touristique de Saïdia.
Trois pistes concrètes émergent. Primo, ciblage d’un tourisme national de classe moyenne avec offres abordables et segmentées, notamment hors haute saison. Secundo, amélioration du transport d’accès, encore trop dépendant d’Oujda et sous-exploité en liaisons directes européennes. Tertio, diversification de l’offre : au-delà de la plage, développer des circuits nature (forêts de Béni Znassen), de bien-être, de culture locale rifaine, pour casser l’image d’une station uniquement balnéaire.
Si la station reste tout de même attractive par son environnement, ses plages et certaines infrastructures hôtelières d’excellente tenue, l’été 2025 est à méditer en profondeur. Il rappelle qu’une station touristique ne peut s’appuyer uniquement sur des saisons pleines, des habitudes de diaspora ou un modèle tout-inclus.
Le ralentissement actuel est un signal, pas une faillite. Il invite les opérateurs locaux à anticiper, innover et corriger, pour permettre à Saïdia de retrouver non seulement ses visiteurs, mais aussi leur confiance et leur engagement dans la fidélité.




