Pendant trois jours, du 13 au 15 novembre, Casablanca deviendra, au moins symboliquement, la scène centrale d’un dialogue entre le passé oral et les imaginaires contemporains, en accueillant la première édition du festival Ayta D’Bladi. Mais derrière l’annonce prometteuse d’un « souffle vivant du Maroc », quelles dynamiques profondes révèle ce projet ? Est-ce une réhabilitation sincère de l’aïta ou un nouvel emballage événementiel pour une mémoire longtemps marginalisée ?
L’aïta est un art du verbe chanté et crié, né dans les plaines de la Chaouia, de Doukkala, ou des confins de Béni-Mellal. Elle a porté la voix des opprimés, des femmes oubliées, des paysans révoltés, et plus tard, des résistants. Marginale, populaire, orale, elle a longtemps été tenue à distance des grandes scènes, cantonnée aux mariages, aux festivals ruraux, voire aux cafés de quartier.
À ce titre, faire de Casablanca, ville moderne et mondialisée, le théâtre de ce festival implique une tentative de repositionner l’aïta dans l’espace culturel légitime, en l’extrayant de son ancrage rural pour la projeter dans l’urbain contemporain. Mais cette transposition géographique est aussi un test politique : peut-on réinscrire une mémoire périphérique au cœur de la narration nationale ?
Selon le communiqué diffusé en ce sens, Ayta D’Bladi sera riche d’un enchaînement de concerts. Il s’agit d’un « terrain d’expérimentation artistique », où les icônes traditionnelles de l’aïta populaire dialoguent avec les nouvelles scènes musicales marocaines, beatmakers, poètes urbains, voix hybrides. Cette fusion entre chikhates confirmées et artistes émergents cherche à traduire dans d’autres codes sonores, d’autres temporalités, sans lisse…
À ce titre, l’événement s’inscrit dans la même veine que des expériences comme « Hay Mohammadi Underground » ou les relectures gnawa‑hip-hop de Fez City Clan. Il tente de dépasser la logique du « folklore muséifié » pour assumer une esthétique de friction : celle qui accepte les ruptures, les hybridations, et surtout, les réappropriations. Car l’enjeu n’est pas simplement de transmettre, il est aussi de laisser les nouvelles générations trahir, transformer, bousculer.
Pourquoi Casablanca ? Parce qu’elle préfigure le paradoxe d’un Maroc ultra-connecté, mais en quête d’ancrage. La destination n’est pas historiquement liée à l’aïta, contrairement à Safi ou El Jadida. Mais son statut de hub culturel émergent, son dynamisme événementiel et sa population jeune la rendent idéale pour expérimenter une relecture spectaculaire du patrimoine.
Le projet est porté par Public Events, déjà connu pour le festival Nostalgia Lovers. C’est une structure marocaine bien rodée, adossée au groupe Parthenon Holding, également actif dans l’aménagement culturel (notamment Palooza Park à Marrakech). Leur force : une capacité à créer des formats immersifs, émotionnels, et visuellement percutants.
Le Maroc ne manque pas de voix. Ce qu’il lui faut, c’est un espace où elles puissent vraiment résonner.




