Lixus, leçons d’un échec

À l’aube des années 2000, le Plan Azur promettait de transformer le littoral marocain en moteur de croissance touristique. On y avait beaucoup cru pour ne pas dire qu’on s’en extasiait quelque part. Eurêka ! Imbus de bonne volonté, nous pensions que Parmi les six stations balnéaires prévues, la magnifique et vierge Lixus à Larache devait jouer un rôle inespéré pour valoriser le nord du royaume, créer une nouvelle centralité balnéaire et désenclaver une région historiquement marginalisée. Déception !

Car 20 ans plus tard, le constat est implacable : Lixus est un échec total. Moins de 15 % du projet initial a été concrétisé. Les retards se sont accumulés, les investisseurs se sont retirés, les infrastructures sont sous-utilisées, et l’impact sur la région est quasi nul.

Rappelons-nous en! Le projet initial, porté par le Plan Azur, prévoyait une station de près de 8 000 lits touristiques avec hôtels, marina, golf, résidences, centre de congrès et équipements de loisirs. Une vision ambitieuse… mais complètement déconnectée du contexte local, sinon du contexte qui commandait sa naissance même..

Les premiers opérateurs privés (le belge Thomas & Piron et le luxembourgeois Orco) se sont rapidement désengagés. Le projet est alors repris en 2008 par le groupe Alliances, déjà engagé sur plusieurs fronts nationaux. Mais la crise financière mondiale et l’endettement croissant du groupe rendent la livraison impossible à tenir.

Résultat : seul un hôtel (Lixus Beach Resort),  géré avec maestria par la chaîne hôtelière nationale Valeria, un golf 18 trous, un club-house et une poignée de villas voient le jour. La marina, les infrastructures nautiques, les équipements de loisirs, les circuits culturels ou la cité balnéaire attendue restent lettres mortes.

Le second facteur tout aussi important de l’échec est l’absence de leadership structurant, vu que le projet Lixus a été piloté de manière morcelée, sachant que l’État, via la SMIT et la CDG, est intervenu tardivement, en 2016, pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être. Tandis que le FMDT (Fonds marocain de développement touristique) a injecté des fonds, sans pouvoir imposer une feuille de route claire. Tout cela a favorisé la débandade du projet avec le faible voire symbolique rôle joué par les autorités locales, sans capacité d’impulsion ni de coordination.

Résultat ? Ce vide décisionnel a entraîné un projet sans cap, sans gouvernance unique, sans stratégie commerciale solide. Chaque partie prenante a avancé selon ses propres contraintes, sans vision intégrée ni conviction territoriale réaliste.

De plus, Lixus souffre d’un isolement logistique persistant, malgré sa position géographique avantageuse avec aucune connexion ferroviaire, ni navette aéroportuaire structurée depuis Tanger Ibn Battouta (à environ 1h15 en voiture).

Cette absence de fluidité d’accès est rédhibitoire pour les tour-opérateurs comme pour les individuels. Le peu de touristes présents arrivent difficilement, restent peu, et repartent sans recommandations.

Même ce qui a été livré reste insuffisant pour créer une véritable attractivité. Le Lixus Beach Resort fonctionne avec des taux d’occupation très saisonniers (70 % en été, souvent moins de 25 % hors saison), alors que le golf 18 trous, pourtant de qualité, reste sous-utilisé, faute de golfeurs, d’animation et de packages intégrés. De leur côté, les villas résidentielles se sont mal vendues. Beaucoup sont inoccupées, d’autres en revente permanente. Aucune activité culturelle, nautique ou artisanale d’envergure n’a été développée.

La station apparaît donc tel un décor sans vie, un complexe sans âme, sans récit territorial et sans lien avec la ville de Larache pourtant riche historiquement.

Ironie du sort, Lixus était plutôt censée dynamiser Larache et sa région. En réalité, elle fonctionne comme une enclave isolée, sans retombées significatives. Peu d’emplois locaux pérennes ont été créés, les liens avec les artisans, restaurateurs ou guides de Larache sont inexistants et aucune stratégie d’intégration économique territoriale n’a été pensée en amont.

Les habitants, longtemps spectateurs d’un chantier interminable, ressentent une forme d’injustice : les promesses d’emploi, de développement et de rayonnement régional n’ont pas été tenues.

Malgré les difficultés connues dès 2012, aucun véritable repositionnement stratégique n’a été proposé, faisant en sorte que le produit n’a pas été ajusté au tourisme national, pourtant en forte croissance depuis la pandémie. Aucun marketing international ciblé n’a été mis en place pour les niches (golf, bien-être, nature, patrimoine). Mieux encore, le potentiel écologique et archéologique de la région n’a jamais été intégré dans l’offre (forêt de la Maâmora, vestiges de Lixus antique, embouchure de l’oued Loukkos).

En un mot, Lixus souffre initialement d’un vide conceptuel, un projet construit selon une logique obsolète, qui n’a jamais su évoluer.

Pas étrange, la station balnéaire de Lixus à Larache n’est que le symptôme plus profond d’un modèle touristique dépassé, hérité du Plan Azur : sur-promesses, absence de coordination, déconnexion du territoire, priorité à la spéculation immobilière sur l’intégration locale.

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