Booking sous pression en France, tout heureux au Maroc

Le 3 juillet 2025, la française DGCCRF a sommé Booking.com de mettre en conformité ses conditions générales de prestations (CGP) avec le règlement européen P2B et le Code de commerce, au plus tard le 31 décembre 2025. À défaut, une astreinte quotidienne dont le montant total pourrait atteindre 69,35 M€ est prévue à partir du 1ᵉʳ janvier 2026. Un signal fort sur les clauses jugées déséquilibrées (classement opaque, modifications unilatérales, restrictions tarifaires, etc.).

Cette inflexion française s’inscrit dans un mouvement européen plus large. Après l’arrêt de la CJUE du 19 septembre 2024 sur les clauses de parité tarifaire et les mobilisations d’associations hôtelières, Booking se voit contester ses pratiques historiques de “verrouillage” tarifaire.

Pourquoi cela concerne directement le Maroc? Tout d’abord, notre pays est l’un des marchés touristiques les plus dynamiques de la région où les établissements d’hébergement touristique classés (EHTC) ont enregistré +13 % de nuitées au premier semestre 2025 (après 18,7 millions à fin août 2024, +7 %/an). Ce contexte de croissance accentue la dépendance opérationnelle inévitable aux OTAs (Booking en tête) et met en exergue l’impact économique de leurs conditions commerciales sur l’ensemble des formes d’hébergement, à savoir hôtels, riads/maisons d’hôtes, résidences, auberges, campings, etc., telles que définies par la loi 80-14.

Au Maroc, Booking.com occupe une place capitale dans la distribution touristique en ligne. Selon des sources concordantes, près de 30 % des nuitées du pays transiteraient par cette plateforme, ce qui en fait un acteur incontournable pour les hôtels, riads, maisons d’hôtes et autres formes d’hébergement. Cette domination s’accompagne d’un coût élevé puisque les commissions facturées oscillent généralement entre 17 % et 23 %, avec des niveaux encore supérieurs lorsque les établissements adhèrent à des programmes de visibilité renforcée tels que “Preferred” ou “Preferred Plus”. Ces pratiques s’inscrivent dans une logique internationale où les marges des plateformes se situent habituellement entre 10 % et 25 %, mais au Maroc, elles sont perçues comme particulièrement lourdes pour les exploitants, en raison du cumul des remises promotionnelles et des frais additionnels.

À ces contraintes s’ajoutait jusqu’à récemment un facteur monétaire défavorable qui est le règlement des commissions en devises étrangères, qui exposait les hôteliers marocains au risque de change et à des procédures bancaires complexes. Depuis fin 2024 toutefois, Booking a annoncé l’ouverture d’un compte local en dirhams destiné au paiement des commissions, mesure saluée par la FNIH du moment qu’elle allège à la fois les coûts cachés et les frictions administratives.

Toutefois, si Booking représente un canal incontournable de visibilité et de remplissage, la contrepartie pour les hôteliers et les maisons d’hôtes marocains réside dans un ensemble d’exigences contractuelles et opérationnelles qui pèsent lourdement sur leur rentabilité. La première d’entre elles est la parité tarifaire. En effet, même si cette clause est désormais remise en cause en Europe, de nombreux hôteliers marocains constatent que leur classement et leur visibilité sur la plateforme demeurent directement influencés par le respect de cette règle implicite. Proposer un tarif plus avantageux sur un site direct ou via un autre canal peut ainsi se traduire par une dégradation algorithmique dans les résultats de recherche, ce qui fragilise la liberté tarifaire des établissements.

À cela s’ajoutent les programmes de visibilité payante tels que “Preferred” et “Preferred Plus”, qui offrent un meilleur positionnement et une mise en avant accrue, mais exigent en contrepartie un taux de performance élevé, une note minimale d’avis clients et, surtout, une commission majorée, souvent de trois points supplémentaires. Il est donc clair que cette mécanique, si elle améliore la conversion, rogne d’autant plus la marge des exploitants.

Le poids financier ne s’arrête pas aux commissions. Les options de paiement via Booking entraînent des frais supplémentaires, auxquels s’ajoutent les remises structurelles comme le programme Genius (10 à 15 % de réduction imposée aux clients fidèles de la plateforme) ou les campagnes promotionnelles (“Early Booker”, “Last Minute”). Dans la pratique, ces dispositifs s’empilent et peuvent faire grimper le coût effectif de distribution au-delà de 20 %, bien au-dessus du seuil tolérable pour de nombreux petits établissements.

Enfin, les politiques d’annulation et de no-show sont un autre point de tension. En cas de non-présentation non signalée correctement dans l’extranet, l’hôtel peut rester redevable de la commission, tandis que les surréservations (overbooking) exposent l’exploitant à l’obligation de reloger le client à ses frais, y compris en prenant en charge une éventuelle différence de tarif. Pour un petit riad ou une maison d’hôtes de médina, ces incidents représentent un risque financier disproportionné.

Le poids du canal OTA pèse d’autant plus lourd qu’il s’inscrit sur un marché en forte hausse : les établissements d’hébergement touristique classés (EHTC) ont enregistré 18,7 millions de nuitées à fin août 2024, portée par une reprise soutenue de la demande internationale.

À ces commissions s’ajoutent des postes moins visibles mais systématiques :

-Frais de traitement des paiements (Payments by Booking) : si un établissement active le service de paiement de la plateforme, Booking facture en plus entre ≈1,1 % et 3,1 % selon le pays et la devise, ce qui vient s’additionner à la commission de base.

-Remises structurelles (Genius, campagnes, Preferred) : le programme Genius applique classiquement un rabais minimum de 10 % pour les membres (niveau 1) et les programmes « Preferred »/« Preferred Plus » augmentent généralement la commission de plusieurs points (souvent autour de +3 points ou davantage selon le contrat), au prix d’une plus grande visibilité.

Conséquence opérationnelle : l’addition des lignes représente une érosion significative de la recette nette. Pour rendre l’impact palpable, prenons un exemple simple et reproductible (chiffres arrondis pour lisibilité) :

-Tarif affiché : 1 000 MAD.

-Commission OTA hypothétique : 20 % → 200 MAD.

-Frais « Payments by Booking » (ex. 2 %) → 20 MAD.

-Si le bien active aussi Genius (10 %), le tarif effectif proposé au client passe à 900 MAD ; la commission et les frais sont alors assis sur 900 MAD (commission = 180 MAD ; frais = 18 MAD), et la recette nette de l’établissement devient 702 MAD.

Autrement dit, sur une chambre facturée initialement 1 000 MAD, l’empilement commission + frais + remise peut réduire la recette perçue par l’hôtelier à environ 702 MAD, soit un coût de distribution effectif d’environ 29,8 % du tarif de base. (Calcul : 1 000 − 702 = 298 MAD → 29,8 %). Les composantes chiffrées utilisées ci-dessus (taux de commission, frais de paiement, remise Genius) sont documentées par les conditions et études sectorielles citées plus bas.

À ces pertes directes s’ajoutent des risques ponctuels qui amplifient encore le déséquilibre :

-No-shows : si une non-présentation n’est pas saisie ou gérée conformément à l’extranet, la réservation peut rester considérée comme due (commission applicable), et l’établissement supporte l’impact sur ses métriques de performance.

-Overbooking (surréservation) : en cas d’impossibilité d’accueillir le client, l’hôtel doit reloger le client à ses frais et souvent payer la différence si l’hébergement alternatif est plus onéreux, un poste qui pèse très fortement sur les petites unités (riads, maisons d’hôtes) en haute saison.

-Empilement promotionnel : campagnes « Early Booker », « Last Minute » et remises combinées (Genius + promotions) peuvent, cumulées aux commissions et aux frais de paiement, placer le coût total de distribution au-dessus de 25 % et parfois approcher ou dépasser 30 % pour certaines réservations sponsorisées ou Preferred. Les enquêtes de terrain menées par la presse spécialisée au Maroc confirment des écarts locaux pouvant aller jusqu’à ces valeurs extrêmes selon les configurations contractuelles.

Impact macro : sur un parc national où Booking pèserait autour de 30 % des nuitées, cette érosion moyenne de marge se traduit par une perte cumulée sur chiffre d’affaires sectoriel (moins de marges pour rénovation, qualité de service, et emplois), et creuse la fragilité financière des petites structures, alors même que le nombre total de nuitées augmente.

Il est vrai que le Maroc dispose déjà d’un socle juridique robuste pour encadrer l’activité des plateformes numériques dans le secteur touristique, mais… La loi 80-14, qui définit l’ensemble des formes d’hébergement touristique, a récemment été renforcée par les textes de 2025 visant à améliorer le classement des établissements et la qualité de service, notamment à travers des “visites mystère” et l’instauration de normes unifiées. Parallèlement, la loi 31-08 sur la protection du consommateur constitue un argument utile pour agir contre les clauses abusives et les pratiques de défaut d’information, y compris dans les relations contractuelles en ligne. Enfin, le Conseil de la concurrence est régulièrement interpellé par la FNIH qui appelle à examiner de près d’éventuels abus de position dominante, en particulier sur les clauses de parité tarifaire. À ce stade, il s’agit toutefois de revendications d’acteurs privés et non de décisions formelles.

Face à ce constat, les professionnels du secteur hôtelier et les experts marocains du tourisme, conscients du poids croissant des plateformes numériques et de l’impact de leurs pratiques sur la rentabilité des établissements, émettent une série de recommandations destinées à rééquilibrer les relations entre exploitants et intermédiaires. Ils insistent d’abord sur la nécessité d’instaurer une transparence obligatoire concernant les critères de classement et les coûts associés : les plateformes devraient documenter clairement la pondération des notes, l’effet des remises ou de la parité, ainsi que les taux de conversion, tout en mettant à disposition un simulateur détaillant le coût effectif de distribution, intégrant commission de base, sur-commission “Preferred”, frais de paiement et remises automatiques. Une telle exigence permettrait aux hôteliers d’arbitrer leurs choix en pleine connaissance de cause. Dans le même esprit, ils plaident pour la garantie d’une véritable liberté tarifaire, en mettant fin à la parité imposée : les établissements doivent pouvoir proposer sur leurs canaux directs (site internet, call center ou vente sur place) des tarifs plus avantageux, sans craindre de voir leur visibilité artificiellement dégradée par l’algorithme de la plateforme. Cette mesure constituerait, selon eux, un outil commercial essentiel pour redonner de la marge nette aux exploitants.

Conscients par ailleurs de la lourdeur des procédures judiciaires, les professionnels recommandent la mise en place d’une médiation sectorielle dédiée, dotée de délais stricts et assortie d’un barème d’astreintes proportionnées en cas de clauses abusives répétées, à l’image des pratiques déjà expérimentées en Europe. Ils considèrent également indispensable l’instauration d’un standard minimal de données partagées auxquelles chaque établissement devrait avoir accès, sous format régulier et exportable, aux informations concernant ses réservations, les clics et abandons, les écarts de parité détectés ou encore son score de qualité. Cette ouverture des données est susceptible de permettre enfin aux hôteliers marocains de développer un véritable yield management local, sans dépendre exclusivement d’outils extérieurs.

Hormis l’encadrement réglementaire, les experts soulignent l’importance d’un soutien actif au canal direct. Ils proposent à cet égard un programme “Direct Boost”, porté conjointement par l’ONMT et la FNIH, combinant la mise à disposition d’un moteur de réservation subventionné pour les EHTC et maisons d’hôtes, avec des campagnes de notoriété incitant les clients à réserver en direct. Ce dispositif devrait être, d’après eux, complété par des formations pratiques sur la gestion des canaux, la maîtrise des annulations et la réduction des no-shows, afin de limiter les coûts de distribution excédentaires observés dans la relation avec Booking. Enfin, ils préconisent la création, sous l’égide de l’Observatoire du Tourisme, d’un registre sectoriel anonymisé recensant les cas d’overbooking, de relogement forcé ou de no-shows facturés. Ils estiment que l’exploitation de ces données offrirait une base objective pour mesurer l’impact réel de ces pratiques et ajuster le cadre réglementaire sur des constats tangibles, plutôt que sur des perceptions.

Ces propositions, articulées dans un esprit de coopération et de régulation équilibrée, ont évidemment pour objectif de protéger la compétitivité des établissements marocains tout en instaurant une relation plus saine et transparente avec les plateformes internationales.

Bref , la France crée une fenêtre d’opportunité pour rééquilibrer les relations entre plateformes et hôteliers sans casser la dynamique de demande que les OTAs apportent. Pour le Maroc, l’enjeu consiste à corriger les asymétries entre transparence, liberté tarifaire, données, médiation efficace et maîtrise des coûts « cachés »  dans les sur-commissions, frais de paiement, remises empilées, pénalités d’overbooking. Avec un marché en croissance et un cadre légal (80-14, 31-08) déjà solide, quelques ajustements ciblés semblent suffire à protéger la marge des établissements, des grands hôtels aux riads et maisons d’hôtes, tout en élevant la qualité perçue par le client.

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