Le CRT Marrakech-Safi a officiellement lancé très récemment la marque Visit Youssoufia et sa vitrine digitale visityoussoufia.com, et ce à l’occasion de la première édition du Festival Culturel et Touristique de Jbel Ighoud (4–6 septembre 2025). Un communiqué officiel qui nous est justement parvenu du CRT décrit la province comme « berceau de l’humanité et de sagesse » et annonce un programme d’accompagnement à la digitalisation des PME locales.
Cette opération ne manque tout de même pas de sens. Elle combine tourisme patrimonial, nature et tradition mais elle soulève des questions concrètes, du genre quelle est la portée réelle de l’argument scientifique? quels appuis numériques peuvent produire des retombées locales mesurables? comment concilier tourisme et santé environnementale dans une province dominée par l’industrie phosphatière ?
Le label « berceau de l’humanité » brandi par la campagne s’appuie normalement sur des découvertes paléoanthropologiques locales. Les fossiles découverts au site de Jbel Ighoud figurent, pour rappel, parmi les plus anciens restes attribués à Homo sapiens, datés de l’ordre de 280–350 000 ans selon les spécialistes et la littérature scientifique. De toute évidence, ce point est factuel et constitue un puissant angle de narration scientifique pour l’attractivité touristique et éducative.
Précaution tout de même. Parler de « la plus ancienne découverte au monde » sans précision peut prêter à controverse, sachant que d’autres gisements africains jouent aussi un rôle central dans l’histoire de notre espèce. Pour la crédibilité du projet, la communication officielle gagnerait à adopter une formulation plutôt scientifique sourcée (« l’un des plus anciens gisements attribués à Homo sapiens, datés à environ 300 000 ans ») et à afficher clairement les partenaires de recherche (invitations régulières d’équipes universitaires / publications).

La province de Youssoufia vit depuis un siècle autour de l’exploitation du phosphate, l’OCP y opère des sites principaux (réseau Gantour) et la région est structurellement marquée par l’activité minière. Cette réalité est à la fois un atout (infrastructures, emplois, ressources pour cofinancer des projets) et un risque de pollution, le comment de gestion de l’eau, comment soigner la perception extérieure, etc, qui peut limiter les retombées positives du tourisme si elles ne sont pas traitées en amont.
Exemples concrets observés ailleurs au Maroc. Tensions entre activités industrielles lourdes et projets touristiques se traduisent rapidement par conflits d’usages (qualité de l’air et de l’eau, image de destination). À Youssoufia, toute stratégie touristique devra donc intégrer des garanties environnementales et des financements CSR ciblés. Les initiatives récentes d’OCP sur l’eau (projets de dessalement et transport d’eau) montrent qu’un dialogue et des partenariats techniques existent et peuvent être mobilisés.
Le communiqué promet « un programme d’accompagnement à la digitalisation des PME ». Constat : la promesse est pertinente mais insuffisante en l’état car elle ne clarifie ni quoi, ni comment, ni avec qui, ni combien et avec quels indicateurs.
Malgré tout, Visit Youssoufia a toutes les matières pour devenir une destination différenciante avec un patrimoine paléoanthropologique de première stature, des paysages (réserve d’Ounife, lac Zima, spectacles équestres) et une énergie institutionnelle visible (CRT, ONMT, ministère). Mais la conversion de ces atouts en retombées pérennes exige certainement de la précision scientifique dans la communication, mesures environnementales strictes, partenariats publics-privés responsables (OCP en particulier) et un plan numérique focalisé, utile et opérationnel et non pas seulement symbolique. Les premières semaines suivant le festival seront décisives pour transformer l’élan médiatique en chantier territorial concret.




