Le décès de Giorgio Armani, intervenu le 4 septembre 2025 à Milan à l’âge de 91 ans, révèle combien son esthétique puisait dans l’esprit nomade et la beauté des terres du Sud. Des collections emblématiques comme la haute couture « Nomade » (printemps-été 2014) véhiculent l’évocation du désert marocain à travers les foulards en soie, pantalons sarouel, sequins, transparences et bijoux pendants évoquant un esthétisme orientalisant raffiné. Plus récemment, lors de la Fashion Week de Milan (printemps-été 2026), Emporio Armani a célébré cette filiation avec des imprimés mosaïque marocains, tuniques brodées, caftans, sacs tissés artisanaux et franges en cuir, autant d’éléments puisés dans l’artisanat berbère.
Cette esthétique nomade s’étend encore à l’univers du design via Armani/Casa avec des espaces dédiés au Maroc dans l’exposition «Echoes from the World» mettent en exergue des pièces inspirées des motifs berbères et de la couleur bleu indigo des Touaregs.
On raconte que, de son vivant, Giorgio Armani, à travers des rencontres, des achats modestes dans les souks et des emprunts esthétiques précis, a développé au fil des décennies une relation sensible et cohérente avec le Maroc. Un attachement fait d’observations, d’emprunts retenus et d’un respect apparent pour les savoir-faire locaux. Les traces concrètes de cette relation, soit des anecdotes personnelles, des citations, des références de collections et projets hôteliers, permettent d’en dresser un portrait nuancé.
D’abord, un épisode remonte à la jeunesse du couturier. Armani raconte avoir rendu visite, avec sa sœur, à Yves Saint Laurent à Marrakech, une image simple mais marquante de ce cette silhouette en veste rayée, le chien, qui, dit-il, l’a impressionné. Quoique l’anecdote ne soit pas pas anecdotique qu’elle ne parait, elle place Marrakech en point de contact entre créateurs et comme un lieu où la couleur, la matière et la convivialité tissent des impressions à vivre.
Armani lui-même a décrit, avec la retenue qui le caractérise, une pratique concrète en confiant acheter « quelques pièces dans les marchés du Maroc » et évoque des séjours répétés qui, au fil des années, ont façonné des choix chromatiques « mes couleurs : le gris, le beige » filtrées par le soleil et le vent.
L’influence marocaine réapparaît dans des collections contemporaines. La présentation Emporio/SS26 et plusieurs revues de la saison ont explicitement pointé des références au « spirit of the desert », palettes sableuses, rouges épicées et emprunts techniques (mosaïques, tissus de tentes berbères, broderies, smock stitching, perlé) traduits en coupes Armani : fluidité, larges pantalons, tuniques longues et surfaces travaillées par des techniques comme le cold-dyeing. Le constat est double : Armani ne « colle pas » des motifs folkloriques tels quels, il transforme des motifs, des textures et des techniques artisanales en une langue formelle qui reste reconnaissable comme Armani.
En plus du geste créatif, le groupe Armani a envisagé et envisagera des manifestations spatiales de son esthétique au Maroc. Déjà dans les années 2010, le groupe a évoqué des projets de resorts conçus pour « refléter les cultures locales », avec Marrakech citée comme localisation envisagée dans le développement d’Armani Hotels & Resorts.
Mais pourquoi le Maroc résonne chez Armani? Trois raisons semblent expliquer la résonance marocaine pour Armani :
-La lumière et la couleur. Le Maroc offre une palette « filtrée » par le soleil qui rejoint l’esthétique d’Armani : tonalités atténuées, matière patinée, saturation contrôlée.(témoignage direct sur la palette personnel).
-Le rapport matière/ouvrage. Les techniques artisanales (broderies, tressages, zelliges, cuir travaillé) fournissent des textures que le grand tailleur peut réinterpréter sans rompre son credo de simplicité.
-Une tradition de résidence créative. La présence historique de Saint-Laurent et d’autres artistes à Marrakech a créé un micro-écosystème où designers, artisans et institutions patrimoniales se rencontrent. Armani s’inscrit dans cette géographie culturelle, parfois comme visiteur inspiré, parfois comme acteur économique discret.
L’affection d’Armani pour le Maroc se lit donc moins dans des gestes ostentatoires que dans un faisceau d’indices concrets de rencontres (Marrakech et Saint-Laurent), achats modestes au marché, réapparitions stylistiques dans des collections récentes et un intérêt pour des projets hôteliers qui entendent traduire une culture locale en expérience spatiale. C’est un attachement pratico-esthétique patient, discret, parfois économique et, surtout, cohérent avec une longue pratique du « moins mais mieux » qui a fait la signature Armani.




