Enfin, un nouveau modèle de mesure touristique qui comble le déficit structurel des données

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Ça y est, le Maroc vient d’engager une réforme attendue depuis plus d’une décennie : la refondation de la mesure de la fréquentation dans les établissements d’hébergement touristique classés (EHTC). Présenté au Four Seasons Rabat lors du conseil d’administration de l’Observatoire du Tourisme, sous la présidence conjointe de la ministre Fatim-Zahra Ammor et du président de la CNT, Hamid Bentahar, ce nouveau modèle statistique constitue incontestablement un tournant bienvenu, après des années de critiques sur l’opacité, les lenteurs et l’insuffisante granularité du système d’information touristique national.

Mais derrière les déclarations officielles, que change exactement ce modèle ? Pourquoi arrive-t-il maintenant ? Et, surtout, quelles sont les véritables implications pour les professionnels, les investisseurs, les opérateurs publics et la communauté scientifique ?

Le dispositif présenté repose sur un échantillonnage représentatif couvrant la diversité des types d’hébergement (hôtels, maisons d’hôtes, clubs, résidences touristiques), les destinations (stations balnéaires, villes impériales, zones montagneuses) et les variations saisonnières. Ce principe, d’ailleurs courant dans les destinations matures comme l’Espagne, le Portugal ou la Turquie, n’est pas en lui-même révolutionnaire, mais il constitue tout de même pour le Maroc une rupture nette avec un système largement dépendant de déclarations administratives incomplètes, hétérogènes d’une région à l’autre et très complexes à exploiter en temps réel.

Le point nodal demeure néanmoins ailleurs. Ce modèle est censé être triangulé avec d’autres données de terrain. Les interventions émises parlent de « sources confirmatives », mais sans pourtant les nommer. Dans les faits, selon des experts proches du dossier, celles-ci incluraient :

-Les données de mobilité et de géolocalisation anonymisées fournies par certains opérateurs télécoms ;

-Les systèmes de gestion hôtelière (PMS) connectés, sur la base du volontariat ou de projets pilotes ;

-Les données transfrontalières liées aux arrivées et aux nuitées internationales ;

-Les enquêtes terrain de l’Observatoire, encore irrégulières mais renforcées en 2025.

Si cette articulation se concrétise réellement, le Maroc disposerait pour la première fois d’une mesure quasi-continue, capable de corriger les biais saisonniers, les sous-déclarations et les distorsions régionales qui faussaient régulièrement la lecture des performances du secteur.

Pour la ministre Ammor, cette réforme, en plus qu’elle est un simple chantier technique, constitue un pilier de la feuille de route 2023-2026, qui repose sur trois exigences : gouvernance, transparence et prise de décision fondée sur la donnée.

Pourquoi cette priorité ? Parce que jusqu’à présent, plusieurs maillons incontournables du secteur manquaient d’informations fiables. D’abord, les investisseurs ne disposaient pas d’indicateurs actualisés par zone, rendant difficile l’analyse du potentiel de certaines destinations émergentes comme Ouarzazate, Dakhla ou Béni Mellal. Ensuite , les professionnels ne pouvaient pas comparer leurs performances à des benchmarks crédibles. Et, en fin de compte, les pouvoirs publics naviguaient avec des données en décalage de plusieurs mois, incapables de détecter rapidement les pics de demande, les décrochages ou les tendances nouvelles des marchés.

Le nouveau modèle change cette logique en mettant fin à l’unicité de la source, longtemps problématique. Il introduit une approche multipolaire qui permet de détecter les anomalies, de corriger les ruptures de séries et d’anticiper les fluctuations. Jusqu’ici, c’est bon !

L’autre avancée à saluer est le lancement du nouveau site de l’Observatoire du Tourisme, maintenant doté d’un tableau de bord interactif construit avec l’appui de l’ONU Tourisme et de la BERD. Ce portail introduit trois évolutions structurantes :

1. Une mise à jour plus fréquente des indicateurs. En effet, pour la première fois, certains indicateurs seront actualisés quasi en temps réel, ou du moins avec un décalage limité, un nouveau standard attendu par l’industrie touristique depuis belle lurette.

2. Une capacité de comparaison et de segmentation. Les professionnels pourront croiser plusieurs couches d’information par destination, par type d’hébergement, par marché émetteur et par saison.

Cette granularité n’existait simplement pas auparavant.

3. Une ouverture des données car le portail est accessible librement. C’est un changement fondamental puisque la donnée touristique n’est plus confinée aux administrations et aux fédérations, mais mise à disposition de l’ensemble de l’écosystème, y compris les chercheurs, les start-up spécialisées, les analystes sectoriels et les développeurs.

Qu’est-ce que cela change concrètement pour les acteurs ?

Pour les professionnels / hôteliers, cela permet de générer un benchmarking instantané des performances par catégorie et par ville, une capacité à ajuster les stratégies tarifaires en fonction de la demande réelle et, plus important, un meilleur pilotage du yield management. Tandis que pour les investisseurs, cela permet une lecture plus fine du risque par destination, la possibilité d’identifier les zones sous-offertes (gap analysis) et un appui solide pour les due diligences des fonds et des institutions financières. Alors que pour les autorités publiques, un ajustement plus rapide des campagnes de promotion de l’ONMT, une identification immédiate des ruptures de tendance et une meilleure allocation des budgets d’aménagements touristiques. Enfin, les chercheurs et universitaires auront un accès plus fluide à des séries historiques plus cohérentes et une mise à disposition d’un corpus de données modernisé permettant finalement des analyses économiques robustes.

Certes, l’ambition est forte, mais plusieurs points critiques resteront déterminants quant à la fiabilité de la coordination inter-institutionnelle, souvent point faible des grands projets statistiques au Maroc, le taux réel de participation des établissements car l’échantillon doit rester avant tout représentatif pour être crédible. La continuité de la mise à jour pour un tableau de bord utile ne doit jamais accumuler de retard espacé d’un mois et plus. De même que la transparence des méthodologies indispensable pour la confiance des investisseurs et des universitaires.

On peut dire sans rougir que le Maroc dispose désormais de l’architecture. Reste à la faire vivre avec rigueur, régularité et constance.

Ce nouveau modèle d’estimation de la fréquentation des EHTC constitue probablement l’une des réformes les plus importantes depuis la création de l’Observatoire du Tourisme. Il répond à une attente profonde du secteur de disposer enfin d’un système d’information fiable, moderne, lisible et comparable aux standards internationaux.

Mais comme le rappelle Hamid Bentahar, l’ambition dépasse la simple mise en ligne d’un tableau de bord puisqu’il s’agit de créer une culture nationale de la donnée touristique, un atout stratégique pour une industrie devenue l’un des moteurs majeurs de l’économie marocaine.

Donc , le Maroc n’a plus droit au retard statistique. Cette réforme est une avancée. Elle devra maintenant prouver qu’elle peut s’inscrire durablement dans une logique d’amélioration continue, au service de la compétitivité du secteur.

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