22 novembre 2024

L’incroyable histoire de la Médina de Casablanca aux 300 ans d’histoire

  • Bâtie dans un style moderne, ses maisons avaient des balcons et de grandes fenêtres. Les routes laissaient passer les voitures. Habitée par les étrangers, la Médina abritait des hôtels, des restaurants et des galeries commerciales
  • Elle a accueilli la première église de Casablanca ainsi qu’une synagogue et la mosquée Ouled El Hamra constituant le triangle monothéiste
  • Plusieurs saints et sainte ont voué leur vie aux pauvres de la Médina. Certains mausolées témoignent encore de leur existence

Lors d’une visite de la Médina de Casablanca avec l’association Casamémoire, j’ai fait la rencontre de trésors historiques et architecturaux inouïs. Le nom de Casablanca/Dar El Beida viendrait de celui d’une jeune tunisienne dont le bateau a échoué au large de Casablanca alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre son père pour aller ensemble au Sénégal. Les habitants de la région retrouvèrent son corps sans vie et furent tellement éblouis par sa beauté et la blancheur de sa peau qu’ils la nommèrent Al Beida (la blanche) avant de l’enterrer et lui dédier un mausolée reconnaissable de loin par sa couleur blanche. Aujourd’hui, le mausolée nommé Dar Lalla el Beida, existe toujours. Il est situé dans l’ancienne Médina près de la porte arrière de la Sqala. Ce mausolée accueille également une mosquée dédiée exclusivement aux femmes.

Médina de Casablanca, la médina la plus moderne et la plus récente du Maroc

Avec ses 300 ans d’existence, la Médina de Casablanca est différente des Médinas plus anciennes de Fès (1200 ans) et de Marrakech (950 ans). La Médina de Casablanca accueillait, au même titre des anciennes Médinas, un Mellah (Quartier juif) qui fut détruit à l’époque où Hubert Lyautey était résident général du Maroc (1912-1925) afin de construire le Port de Casablanca. Bab El Marsa, première entrée de la Médina par la mer est restée authentique. A l’époque se trouvaient des entrepôts de blé et de marchandise détruits plus tard pour construire une place devenue touristique et très animée. On y retrouve aujourd’hui des restaurants et des hôtels. Autre différence, les maisons de la Médina Casablancaise sont bâties de manière moderne avec des fenêtres assez grandes pour apercevoir ce qui se passe à  l’extérieur contrairement aux moucharabiés des demeures traditionnelles des villes impériales. Les ruelles sont plus larges laissant passer les voitures. Autre spécificité, elle a été habitée par les délégations étrangères lors du protectorat (1912-1956). «C’est la seule Médina qui a abrité des hôtels, des restaurants, des grands magasins et des cabarets dès le début du siècle dernier», nous explique la guide Casamémoire. Par contre, la Médina de la ville blanche, à l’instar de ses voisines de Marrakech et de Fès, accueillait aussi un Foundouk, sorte de lieu de halte pour les voyageurs et leurs montures (chevaux, calèches…). Aujourd’hui, le Foundouk de la Médina est en plein restauration à l’initiative d’un grand photographe marocain connu à l’international nommé Thami Nader. Celui-ci a trouvé des mécènes pour la conversion du Foundouk, en musée et école de la photographie. La façade gardera son cachet ancien.

Une mosquée, une église et une synagogue forment le triangle monothéiste de la Médina

La Médina était un espace où les trois religions monothéistes cohabitaient ensemble. Le triangle monothéiste de la Médina est composé d’une mosquée, d’une église et d’une synagogue. L’arrivée de la première église catholique de la Médina et de Casablanca est décidée en 1891 lorsque le sultan Moulay el Hassan 1er donne au Roi d’Espagne un terrain dans lequel il bâtit cette église. Restée en activité jusqu’en 1969, date à laquelle la plupart des étrangers ont quitté la Médina pour d’autres quartiers. En 2010, le Roi Juan Carlos d’Espagne a restitué l’église au Maroc qui l’a désacralisée la transformant ainsi en maison de la culture propice aux évènements et aux concerts. La synagogue, elle, a été construite en 1929 par la famille juive d’Ettedgui qui a quitté Tétouan après la guerre de 1860 pour s’installer à Casablanca. En 2014, cette synagogue a bénéficié de travaux de mise à niveau avec la création d’un musée dans son espace extérieur. La Mosquée Ouled El Hamra du nom de son mécène marrakchi, est elle, construite de manière simple et traditionnelle à l’image de la mosquée Al Quaraouiyin de Fès dans un style mauresque. Elle accueille toujours les fidèles et boucle ainsi le triangle monothéiste. En face de la mosquée se trouve l’ancienne résidence du Maréchal Lyautey à Casablanca où il organisait les réceptions mondaines. En 1956 à l’indépendance du Maroc, Feu Mohammed V offre cette résidence à l’Union Marocaine du Travail (UMT) en guise de reconnaissance de leurs efforts pour l’indépendance du Maroc. La magnifique bâtisse au jardin luxuriant, devenue le siège de l’UMT, a été entièrement restaurée par la ville de Casablanca.

Les quartiers européens de la Médina

La Médina de Casablanca a aussi accueilli le premier siège de la banque du Maroc en 1907. Trente ans plus tard, le siège de la banque est transféré à «la ville européenne» nouvellement créée extra-muros. L’édifice sera transformé en hôtel nommé «Hôtel des Amis». La place où se trouve cet édifice abritait également le Consulat d’Allemagne avant qu’il ne rejoigne la place de Belgique. Un autre hôtel chic nommé «Hôtel Central» était très prisé dans cette place aux côtés  du Grand Café de Paris en cours de restauration. Des galeries commerciales proposaient à leurs clients les derniers produits à la mode en Europe. Elles étaient attenantes à l’Hôtel de France en attente de restauration. La visite de cette partie de la Médina se termine par celle des quartiers étrangers dont le plus notoire est le quartier espagnol appelé La petite Andalousie. Dans ce secteur se trouvait un cabaret nommé «Circolo de Progresso» devenu le Petit Biche, repère des pilotes de l’Aéropostal d’antan quand ils faisaient une halte à Casablanca. Des correspondances de pilotes et de Saint-Exupéry notamment évoquaient le cabaret le Petit Biche.

Lalla Taja, la Sainte des femmes de la Médina

La Médina abritait, comme cité auparavant, les consulats de plusieurs pays étrangers; Allemagne, Belgique… dans des bâtisses anciennes aujourd’hui restaurées et transformées en écoles publiques. A l’époque précédant le protectorat français, des commerçants marocains pouvaient demander la protection d’une puissance étrangère et s’épargner les foudres de la police du Sultan en cas de litige. Dès l’arrivée du protectorat français, la politique de protection étrangère est révolue. Mais la Médina garde aussi les traces d’un passé où plusieurs personnes dévouées aux autres ont gravé leur nom dans l’histoire. Lalla Taja en fait partie. Cette «féministe» qui a voué sa vie à la protection des orphelins et des femmes célibataires vivait dans la Médina. Lalla Taja recueillait des fonds de la part des représentations étrangères qu’elle redistribuait aux pauvres. Malaimée par la gente masculine, car elle travaillait à la protection des femmes, elle a, un jour, était prise à partie par des hommes qui l’ont lapidée jusqu’à la mort et refusé de l’enterrer. Des femmes ont dès lors demandé au consulat de Belgique un bout de terrain où ils l’ont enterré. Aujourd’hui, Lalla Taja repose en paix dans un mausolée qui lui est dédié en reconnaissance pour ses sacrifices. Elle  devenue une sainte pour les femmes en difficulté ou opprimées qui lui adressent, jusqu’à aujourd’hui, des prières et demandent sa Baraka.

Rabbi Haïm Pinto, un saint Juif ayant vécu à la Médina de Casablanca

La communauté juive de Casablanca était aussi très présente dans la Médina. La maison où a vécu Rabbi Haïm Pinto, fils d’un saint juif enterré à Essaouira et dont le mausolée est devenu un lieu de pèlerinage de la communauté juive mondiale, est toujours reconnaissable dans la Médina par sa plaque nominative.  Rabbi Haïm Pinto aurait eu une vraie baraka. Il a voué sa vie à aider les pauvres.  Chaque jour, il collectait l’aumône, dans un petit foulard blanc, pour le redistribuer aux nécessiteux.

Les Saints musulmans de la Médina casablancaise

La visite se termine par celle du mausolée de Sidi Bousmara à l’extérieur de la Médina. Ce mystique musulman visitait le pays à pied et arriva vers le Xème ou le XIème siècle à Anfa pendant une année de grande sécheresse. Il demande de l’eau pour faire ses ablutions qui fut introuvable à cause de la sécheresse. Un homme lui tend deux pierres (Timouma) pour des ablutions sans eau. La légende dit qu’en guise de remerciement, Sidi Bousmara tape d’un bâton deux fois dans le sol et fait jaillir de l’eau. Les habitants ont tout fait pour garder ce saint à Anfa où il vécut et fut enterré. Ce religieux passait son temps à lire le Saint Coran. A chaque fois qu’il complétait la lecture, il plantait un clou dans un arbre pour se rappeler combien de fois il avait lu le Saint Coran. D’où le nom Sidi Bousmara. Les nouveaux venus à Casablanca visitaient son mausolée et demandaient la Baraka du Saint sans oublier de planter un clou dans un arbre cumulant ainsi des milliers de clous qu’on finit par enlever.

Sidi Belyout, ou Sidi Abou Louyouth; père des lionceaux

Enfin, le célèbre Sidi Belyout alias Mohamed Ragragui, dont le mausolée est tout proche de l’hôtel Sofitel de Casablanca, était connu pour une tout autre légende. Il avait le don de communiquer avec les animaux et notamment les lions, ses animaux de compagnie. C’est la raison pour laquelle on l’appelait Sidi Abou Louyouth; le père des lionceaux. Un nom qu’on a écorché au fil du temps pour devenir Sidi Belyout. A la fin de sa vie, il est devenu aveugle et vivait dans les forêts aux alentours d’Anfa (Casablanca). A son décès, son lion de compagnie l’avait emmené aux abords de la ville pour qu’on puisse l’enterrer. La légende raconte que le lion est resté allongé sur la tombe de son maître jusqu’à ce qu’il succombe lui-même.

Wiam Markhouss

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