Un oubli qui n’en est pas un : décryptage d’un silence révélateur.
Le 7 juillet 2025, le Conseil régional de Drâa-Tafilalet s’est réuni à Errachidia pour une session administrative qui devait être décisive. Or, l’absence de la convention avec Royal Air Maroc à l’ordre du jour a sidéré nombre d’acteurs économiques de la région. Cette convention visait pourtant à sécuriser une desserte aérienne régulière et abordable entre Casablanca et Ouarzazate, un axe vital pour le tourisme régional. Ce report ne peut être perçu comme une simple omission technique puisqu’il n’est pas le premier du genre. Il semble qu’il soit le reflet d’un écosystème institutionnel marqué par des arbitrages obscurs, des conflits d’intérêts locaux et une absence préoccupante de lisibilité stratégique qui tienne vraiment compte de l’intérêt de la destination. Une sorte de verrou logistique dans une région à fort potentiel. Allez y comprendre quelque chose !
Ce n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, Ouarzazate tente de se repositionner en porte d’entrée touristique de premier plan, à l’image de ce qu’a réussi Marrakech dans les années 2000. Niet, sa desserte aérienne reste l’un des principaux handicaps de son attractivité.
En juillet 2025, seuls sept vols hebdomadaires relient Casablanca à Ouarzazate, souvent à des horaires peu adaptés aux voyageurs internationaux et avec des tarifs très volatils : entre 800 et 2200 dirhams aller-retour, selon la demande. Une offre jugée non seulement insuffisante, mais aussi mal calibrée. Parmi eux, 4 sont directs, tandis que 3 autres sont partagés avec Zagora, allongeant considérablement le trajet. À titre d’exemple, un vol vers Casablanca via Zagora peut prendre jusqu’à 3h30, un temps de parcours dissuasif pour la clientèle touristique internationale et les opérateurs économiques. Les avions déployés sur cette liaison sont des ATR à capacité limitée, inadaptés à la demande croissante, contrairement à Errachidia, qui bénéficie de vols opérés en Embraer, appareils plus grands et plus confortables. Une asymétrie difficile à justifier sur le plan stratégique.

Un exemple révélateur : durant les Drâa-Tafilalet Days en juin 2025. événement dédié à la promotion régionale, plusieurs tour-opérateurs européens ont dû atterrir à Marrakech, puis parcourir 4 à 5 heures de route jusqu’à Ouarzazate. Résultat : une frustration logistique qui a compromis la concrétisation d’éventuels contrats. Certains professionnels locaux parlent même d’un “gâchis commercial évitable”.
Somme toute, il faut dire que la fameuse convention RAM reste une promesse différée, une stratégie incohérente. La convention prévoyait une co-subvention entre le Conseil régional et RAM pour garantir des vols directs à fréquence stable, des horaires adaptés à la demande touristique et une tarification accessible. L’absence de signature à ce jour traduit une crise de gouvernance plus profonde : un déficit d’alignement entre les priorités économiques locales et les décisions politiques régionales.
Plusieurs sources internes évoquent des divergences au sein même du Conseil, notamment entre les représentants de Ouarzazate-Zagora et ceux d’Errachidia. Ces derniers pousseraient en faveur d’une liaison Rabat-Errachidia, présentée comme plus “utile administrativement” mais sans réelle plus-value touristique. Alors que c’est plutôt l’axe Ouarzazate/Zagora qui en constitue la valeur-ajoutée économique et touristique. Le fond du problème réside donc dans cette divergence territoriale profonde pù Errachidia, désormais faisant cavalier seul pour défendre sa propre desserte aérienne. Cette liaison, coûteuse et peu rentable, semble surtout bénéficier à certains responsables administratifs et lobbys locaux, au détriment de l’intérêt collectif.
Selon les données compilées par l’ONDA et l’Office du tourisme, le taux de remplissage moyen des vols sur Rabat-Errachidia ne dépasse pas 42 %, avec des suspensions ponctuelles de vols pendant la période estivale. À l’inverse, la demande sur Casablanca-Ouarzazate dépasse régulièrement 75 %, notamment entre mai et octobre. Les chiffres sont clairs, mais les décisions ne suivent malheureusement pas.
Il s’agirait sans doute là de logiques politiques soliloques, de clientélisme régional individualiste et de déconnexion du terrain des réalités vraies de développement…
Cette priorisation de l’axe Rabat-Errachidia, aux dépens de Casablanca-Ouarzazate, interroge sur les ressorts réels de la prise de décision régionale. Plusieurs observateurs locaux, sous couvert d’anonymat, parlent de logiques d’influence politique, où les connexions avec certains cabinets ministériels ou la pression de figures locales pèsent plus que les données socio-économiques.

Le président du Conseil régional s’est d’ailleurs montré évasif lorsqu’interrogé sur ce dossier. Contrairement à ce que laisse croire le discours officiel, les élus régionaux ne sont pas informés du contenu de la convention RAM. Seuls le président du Conseil régional et le directeur général de l’AREP en ont connaissance. Or, selon plusieurs sources proches du dossier, ces deux responsables ne seraient pas satisfaits des termes proposés, considérés comme déséquilibrés et peu alignés avec les besoins réels de la région. Résultat : la convention n’a pas été validée, ni même présentée aux conseillers, et la région reste otage d’une gouvernance verrouillée, opaque et désarticulée.
De la sorte, la RAM, partenaire sous pression, ne saurait où donner de la tête avec une volonté d’adaptation limitée. Oui, du côté de Royal Air Maroc, la situation n’est pas plus claire. L’entreprise reste prudente face à de nouvelles conventions. Déjà en 2023, une étude interne pointait la faible rentabilité des lignes régionales non subventionnées, d’où une réticence à s’engager sans garanties claires.
Mais cette posture soulève une autre question : peut-on laisser à une compagnie nationale, au statut encore ambigu entre mission de service public et logique de rentabilité, le pouvoir de conditionner le développement de régions entières ?
Dans l’ombre de ce bras de fer, une autre zone paie le prix de l’inertie : Zagora, déjà privée de liaison directe avec Casablanca depuis 2022. Le potentiel de cette destination en matière d’écotourisme, de tourisme saharien et culturel reste inexploité, faute d’accessibilité aérienne. Des projets de charters privés existent bel et bien, portés par des opérateurs marocains de niche, mais sans soutien public structurant, leur pérennité est illusoire.
Grosso modo, cette affaire dépasse la simple absence d’une convention. Elle met à nu et à mal les fragilités systémiques de la gouvernance régionale au Maroc, et plus spécifiquement dans les régions enclavées. L’expérience du Drâa-Tafilalet montre que, sans une approche participative, transparente et fondée sur des données tangibles, les politiques aériennes deviennent des instruments de rivalités politiques plutôt que de développement territorial.

Pour sortir de cette impasse, faudrait-il instaurer des audits publics réguliers sur la pertinence économique des liaisons subventionnées? Conditionner toute convention aérienne régionale à une consultation directe des acteurs économiques du territoire? Créer une entité mixte (public/privé) régionale de coordination logistique et de planification aérienne, indépendante des logiques politiques du moment? Inclure systématiquement l’aérien dans les schémas régionaux d’aménagement du territoire, avec des indicateurs d’impact touristique, économique et social? Là est toute la question !
En fait, l’épisode tragi-comique de la convention RAM constitue un signal d’alarme de trop sur la manière dont les régions marocaines abordent la question de leur connectivité. Le cas du Drâa-Tafilalet est emblématique : un potentiel touristique exceptionnel, entravé par des choix politiques opaques et une coordination institutionnelle défaillante. Dans l’ombre de cette impasse, Zagora paie aussi le prix fort. Privée de liaison directe avec Casablanca depuis 2022, la ville reste coupée du reste du pays malgré son potentiel en matière de tourisme saharien et écotourisme. Des opérateurs privés ont bien tenté d’introduire des vols charters, mais en l’absence de soutien public, ces initiatives sont restées fragiles et éphémères
À l’heure où le Maroc ambitionne de faire du tourisme un pilier stratégique de sa croissance territoriale, l’exemple de Ouarzazate devrait, en effet, inciter à une réforme en profondeur du pilotage de l’aérien régional. Faute de quoi, le pays risque de transformer une promesse de développement équitable en enchaînement de rendez-vous manqués.




