C’est un choc silencieux mais lourd de sens qui vient d’ébranler l’une des institutions les plus emblématiques du tourisme français et mondial. Après plus de deux décennies à la tête du Club Méditerranée, Henri Giscard d’Estaing a été brutalement évincé par le conglomérat chinois Fosun, actionnaire majoritaire depuis 2015. Une éviction aussi soudaine que significative : elle signe à la fois la fin d’un long cycle de gouvernance franco-française et l’affirmation, désormais sans équivoque, du pouvoir de Shanghai sur l’un des emblèmes du tourisme hexagonal.
Une sortie sans cérémonie pour un président emblématique. Henri Giscard d’Estaing était devenu, au fil des ans, la figure tutélaire du Club Med. Entré en 1997 comme directeur du développement, il en prend la présidence en 2002 et devient l’architecte d’une transformation radicale : montée en gamme, recentrage vers des « villages premium », recentralisation sur les marchés porteurs (Chine, Amérique latine, Afrique) et virage stratégique vers l’internationalisation. Son travail fut souvent salué comme un redressement spectaculaire d’un groupe alors à la dérive.
Mais son maintien à la tête du Club Med, malgré l’acquisition par Fosun il y a presque dix ans, relevait d’un équilibre subtil. Ce compromis est aujourd’hui rompu sans appel.
Selon nos sources internes, c’est lors d’un conseil d’administration tenu à huis clos à Hong Kong que la décision a été scellée. Aucun message d’adieu officiel n’a été diffusé par Henri Giscard d’Estaing lui-même, un silence qui en dit long. La direction de Fosun, elle, parle d’« une transition naturelle vers une nouvelle phase de développement », formule creuse souvent synonyme de reprise en main. C’est clair qu’il s’agit là d’une stratégie désormais pilotée depuis Shanghai.
Oui, ce renversement ne doit rien au hasard. Depuis plusieurs mois, Fosun affichait une impatience croissante face à la stagnation des performances sur les marchés occidentaux, notamment en Europe post-Covid. Les investissements massifs dans de nouveaux resorts en Asie –notamment en Thaïlande, au Vietnam et dans les provinces côtières chinoises– nécessitaient une gouvernance plus alignée sur les logiques de développement propres au groupe.
La nomination d’un nouveau CEO, Zhang Lei, un ancien de Fosun Tourism Group, scelle cette nouvelle orientation. Il personnifie un Club Med piloté selon des normes managériales chinoises, davantage axées sur le rendement court terme, la segmentation ultra-ciblée des clientèles (notamment les classes moyennes chinoises) et une stratégie d’hyper digitalisation du parcours client.
Désormais, les décisions stratégiques se prendront à Shanghai, non plus à Paris.
Cette éviction s’inscrit dans un mouvement plus vaste de perte de contrôle des entreprises tricolores historiques passées sous pavillon étranger : Alstom, Technip, Lafarge, ou encore Carrefour Chine. Si l’acquisition du Club Med par Fosun avait été, à l’époque, présentée comme un partenariat équilibré, elle se révèle aujourd’hui un transfert de souveraineté économique lent mais méthodique.
Certains analystes parlent d’un cas d’école : celui d’une entreprise française à forte valeur patrimoniale, passée entre les mains d’un géant privé chinois, sans protection réelle ni stratégie d’État pour préserver les centres de décision nationaux. Dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu, la dépendance croissante du tourisme français aux capitaux et marchés asiatiques pose la question : que reste-t-il de « français » dans une entreprise comme le Club Med ?
Et maintenant ?
Les conséquences concrètes de ce changement ne tarderont pas à se faire sentir. Des sources internes évoquent déjà une révision des implantations en Europe jugées trop peu rentables. Les projets d’ouverture de nouveaux villages dans les Alpes ou en Méditerranée seraient remis à plat. En parallèle, des rumeurs circulent sur une vente partielle d’actifs non stratégiques et une possible fusion avec d’autres entités du portefeuille touristique de Fosun, comme Thomas Cook China.
Mais au-delà de la stratégie, c’est une page qui se tourne. Celle d’un tourisme à la française. Celle d’une époque où l’identité du Club Med relevait d’un imaginaire collectif franco-européen. Aujourd’hui, cet imaginaire est en train de s’effacer au profit d’un modèle globalisé, piloté à des milliers de kilomètres, où les resorts ne sont plus des villages mais des assets dans un portefeuille international.
L’éviction d’Henri Giscard d’Estaing est donc le symbole d’un changement d’ère. Ce n’est pas seulement un homme qui s’en va, mais toute une vision du tourisme, ancrée dans une certaine idée du luxe français accessible, humanisé, solaire.
Le Club Med entre désormais dans une ère post-européenne, marquée par des logiques financières, technologiques et culturelles venues d’ailleurs. Reste à savoir si cette mue répondra encore aux attentes d’une clientèle mondiale en quête d’expériences humaines, et non d’un simple produit formaté.




