Isaac Ohayon, Caribbean Village Agador : autopsie d’une chute silencieuse

C’est, à en croire un article lu dans Maghreb Intelligence, un virage judiciaire qui ne peut passer inaperçu dans l’histoire récente de l’hôtellerie marocaine, et plus particulièrement dans celle d’Agadir. Le tribunal de commerce d’Agadir aurait acté une décision aussi symbolique que lourde de conséquences : la liquidation judiciaire de la société Oued Sahara, propriétaire de l’hôtel Caribbean Village Agador, s’étendrait désormais personnellement à Isaac Ohayon, son dirigeant emblématique.

Le jugement soulève des questions fondamentales sur la gouvernance hôtelière, les responsabilités managériales en temps de crise et la résilience d’un modèle “All Inclusive” quelque part désormais fragilisé.

L’affaire Caribbean Village Agador, c’est tout juste la chute d’un fleuron balnéaire. Avec ses 406 chambres, ses 5 restaurants, ses piscines et terrains de sport, le Caribbean Village Agador symbolisait quand même un certain âge d’or du tourisme de masse à Agadir, une époque où les forfaits vol + séjour remplissaient les hôtels en continu, grâce à des marchés européens en croissance, notamment la France, l’Allemagne ou la Scandinavie.

Mais le modèle “All Inclusive”, massivement déployé sur la côte atlantique, a montré ses limites, particulièrement en période de stress économique. Le Covid-19, avec la fermeture prolongée des frontières, a brutalement interrompu la mécanique du cash-flow. Faute de réserves et de diversification, beaucoup d’établissements se sont retrouvés à genoux. Le Caribbean Village Agador en est aujourd’hui l’un des symboles les plus éloquents.

Toutefois , de la faillite d’entreprise à la faillite personnelle, c’est un précédent sévère.

Ce qui fait justement l’originalité et la gravité de l’affaire, c’est l’extension de la liquidation judiciaire à la personne physique d’Isaac Ohayon. Autrement dit, la justice ne considère plus qu’il s’agit uniquement d’un échec entrepreneurial, mais met en cause la gestion personnelle du dirigeant.

Concrètement, Isaac Ohayon devra s’acquitter personnellement d’une part des dettes (estimées à plus de 100 millions de dirhams) contractées par la société Oued Sahara. Il perd également son habilitation commerciale pour cinq ans, ce qui lui interdit de créer ou diriger une entreprise durant cette période. Une sanction rare, réservée aux cas de gestion fautive ou aggravée, dans le droit marocain des procédures collectives.

Pourquoi une telle décision ? Bien que les détails du jugement restent confidentiels, l’extension de responsabilité personnelle est souvent prononcée dans les cas de non-respect des règles comptables ou déclaratives, de dissimulation d’actifs ou favoritisme envers certains créanciers ou encore d’absence de réaction appropriée face à l’aggravation de la situation financière (ex. poursuite de l’activité alors que l’insolvabilité est avérée).

Comme quoi, la jurisprudence marocaine, bien que prudente, se durcit face aux dirigeants jugés inactifs, négligents ou irresponsables en temps de crise.

Autrement, l’affaire Caribbean Village Agador met en lumière les failles d’un segment touristique mal adapté aux chocs économiques. À l’inverse des resorts intégrés à des groupes internationaux, Oued Sahara fonctionnait en autonomie, avec une gestion familiale et peu de marges de manœuvre financières.

En 2020, l’arrêt brutal du tourisme international a vidé les caisses. Les aides publiques, bien que réelles (report de charges CNSS, soutien au personnel), n’ont pas suffi à couvrir les charges fixes colossales : salaires, entretien, dette hôtelière, taxes locales.

Les hôtels indépendants, comme le Caribbean, n’ont pas pu accéder à des financements structurés ou à des restructurations massives de dette. Le risque systémique a été privatisé, et ses conséquences aujourd’hui retombent sur un homme, Isaac Ohayon, autrefois considéré comme l’un des pionniers de l’offre touristique d’Agadir.

Une question pendante : et les autres ? Le cas Ohayon pourrait faire jurisprudence. D’autres opérateurs, aujourd’hui en défaut, observent cette affaire de près. Car si la justice commence à impliquer personnellement les dirigeants d’hôtels défaillants, cela pourrait freiner les vocations entrepreneuriales dans le secteur, surtout pour les PME hôtelières.

Cela pose aussi la question du rôle des collectivités locales et du gouvernement dans l’accompagnement des restructurations. Le tourisme marocain ne pourra pas avoir le vent en poupe sans un cadre juridique clair, équilibré et prévisible, qui distingue l’échec entrepreneurial sincère de la gestion frauduleuse.

Serait-ce alors la fin d’un cycle ou le début d’un assainissement ?

Le sort d’Isaac Ohayon est le reflet de la vulnérabilité d’un modèle économique. Le Caribbean Village Agador représente cette génération d’hôtels conçus dans les années 1990 et 2000, bâtis sur un tourisme de volume, avec peu de digitalisation, peu de différenciation et souvent peu de flexibilité financière.

La justice a tranché : responsabilité directe. Mais cette décision doit s’accompagner d’une réflexion systémique. Car la faillite d’un homme ne doit pas dissimuler les carences d’un écosystème tout entier.

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