Si la station Saidia n’a pas reçu l’éclat qu’elle mérite, la faute ne revient ni au site, ni aux professionnels de bonne volonté qui ont cru à son succès mais dans sa réalisation précipitée dès le départ…
Certes , le Plan Azur, lancé en grande pompe au début des années 2000 dans le cadre de la stratégie « Vision 2010 », avait pour ambition de faire du pays une destination touristique de premier plan. Parmi les 6 grandes stations balnéaires programmées, avec pour objectif d’attirer 10 millions de touristes par an, figurait en bonne place la station de Saïdia, construite de toutes pièces sur la côte méditerranéenne, censée devenir le fer de lance du développement touristique dans l’Oriental. Or, plus de quinze ans après son inauguration, le site personnifie l’échec le plus retentissant du Plan Azur. Malgré les tentatives honorables de la SDS, du CRT de l’Oriental et les actions citoyennes locales de part et d’autre, on arrive mal à donner réellement vie à ce beau corps meurtri depuis la naissance…
Pourquoi cet échec ? Pourquoi l’industrie touristique marocaine a-t-elle, dès l’origine, pris une trajectoire bancale, surtout dans le cas de Saïdia ? Comment ?
Récapitulons ! Le Plan Azur s’est appuyé sur une logique de copier-coller du modèle espagnol des années 1980-1990, sans prendre en compte les différences structurelles, culturelles, environnementales et socio-économiques entre les deux contextes. Le cas de Saïdia est significatif. Confiée à l’entreprise espagnole Fadesa, la station devait reproduire le schéma de développement des complexes de la Costa del Sol, avec golfs, marinas, hôtels de luxe et résidences secondaires.
Or, cette transposition s’est révélée être un malentendu fondamental. Le modèle espagnol était déjà en crise à l’époque, miné par la spéculation, la surconstruction et une déconnexion avec la demande réelle. Le Maroc a importé non pas le succès espagnol, mais ses dérives et Saïdia en est l’illustration presque caricaturale.
La désignation de Fadesa en tant que principal maître d’œuvre de Saïdia s’est faite sans réelle mise en concurrence ni analyse de viabilité à long terme. Dès 2004, le groupe espagnol promet la livraison rapide d’un méga-complexe de plus de 700 hectares, avec 17 000 lits touristiques, une marina de 800 anneaux, un golf 18 trous, plusieurs hôtels et un centre de congrès. En 2008, Fadesa dépose le bilan. Le promoteur est rattrapé par la crise immobilière espagnole, emportant avec lui l’essentiel du financement, laissant derrière lui des infrastructures inachevées et des engagements non tenus.
L’État marocain n’avait pas prévu de clauses de garantie solides dans le contrat. En conséquence, lorsque Fadesa s’effondre, le projet s’effondre avec lui. Aucune reprise claire n’est définie, et des centaines de propriétaires étrangers ou marocains se retrouvent avec des biens inachevés ou invendables.
L’erreur la plus structurelle réside peut-être dans le décalage entre l’ambition du projet et son ancrage territorial. Saïdia se trouve dans une région historiquement marginalisée, dépourvue d’infrastructure touristique de base, éloignée des grandes villes touristiques du Maroc. L’aéroport d’Oujda-Angad, situé à environ 60 km, ne pouvait supporter à lui seul les flux touristiques attendus et les dessertes routières étaient insuffisantes.
Le développement de la station n’a pas été accompagné d’une politique d’intégration locale : absence de formation professionnelle locale, peu d’implication des populations dans l’économie du projet et un effet d’enclave qui a limité les retombées économiques.
En somme, Saïdia a été construite comme un vaisseau spatial posé sur un désert social et économique, sans écosystème touristique viable autour d’elle.
Autre point critique, la station a été construite au bord de l’oued Moulouya, à proximité immédiate de la réserve naturelle de la lagune de Marchica, dans une zone fragile abritant une biodiversité précieuse. Le développement brutal et mal encadré de la station a conduit à la dégradation des dunes, à la pollution des eaux et à des tensions avec les agriculteurs et pêcheurs locaux.
En 2011, un rapport de la Cour des comptes souligne les nombreuses irrégularités dans la gestion environnementale du projet. Les engagements en matière d’assainissement, de gestion des déchets et de protection des zones humides n’ont pas été tenus.
Les biens immobiliers de Saïdia ont été conçus pour des touristes étrangers, notamment européens. Mais dès 2009, avec la crise économique, le marché européen s’effondre. La clientèle marocaine, à qui on tente ensuite de vendre les résidences, n’a pas le même profil ni les mêmes attentes. Les hôtels, nombreux mais sous-occupés, fonctionnent souvent à perte.
Aujourd’hui, plusieurs hôtels sont fermés ou tournent à moins de 40 % de leur capacité en haute saison. Certains ont été reconvertis en résidences ou même abandonnés. L’activité saisonnière extrême (juillet-août) ne permet pas un équilibre économique sur l’année.
Le rêve de transformer la région de l’Oriental en pôle touristique s’est transformé en désillusion pour la population locale. L’emploi promis n’est jamais venu. Le tissu économique local n’a pas été structuré pour accompagner ou bénéficier du projet. Les agriculteurs, artisans, restaurateurs et petits commerçants n’ont pas été intégrés à la chaîne de valeur.
Plus grave encore : l’échec de Saïdia a eu un effet de perte de crédibilité pour les investissements touristiques dans la région. Plusieurs projets secondaires autour de la station ont été suspendus ou annulés. La méfiance des investisseurs, locaux comme étrangers, s’est installée.
L’échec de la station de Saïdia révèle des failles structurelles dans la conception même du développement touristique au Maroc : surcentralisation des décisions, absence d’étude d’impact rigoureuse, trop grande dépendance aux capitaux étrangers, manque d’ancrage territorial, faiblesse du cadre juridique encadrant les projets d’envergure.
Aujourd’hui, le Maroc semble avoir tiré certaines leçons de cet échec, en promouvant des modèles plus durables et localisés de développement touristique (comme l’écotourisme dans l’Atlas ou le tourisme culturel à Fez et Marrakech). Mais Saïdia reste un symbole d’un mirage touristique qui a coûté cher au pays, économiquement, socialement et symboliquement.
Que faire alors? aucune des pistes de redynamisation proposées par les professionnels experts ne réussira sans un changement profond de paradigme : passer d’un tourisme imposé à un développement co-construit, ancré, progressif et responsable.
Fort heureusement aujourd’hui, la malédiction qui lui collait de symbole des errements du Plan Azur s’efface petit à petit car la station connaît depuis 2011 une transformation pilotée par la Société de Développement Saïdia. L’enjeu n’est plus de relancer un modèle mal adapté, mais de repositionner la destination sur des bases plus compétitives, en conciliant attractivité touristique, ancrage territorial et respect de l’environnement.
Pour atteindre cet objectif, la SDS a d’abord repris en main et restructuré les principaux actifs : 3 hôtels Radisson Blu (Beach, Garden et Résidences) désormais ouverts toute l’année, deux golfs, une marina de 800 anneaux, un aquaparc et le Medina Mall. Cette gestion directe s’est accompagnée d’une diversification ciblée de l’offre : formats adaptés aux familles, packages golf et bien-être, accueil d’événements d’affaires et sportifs. L’organisation d’animations et de compétitions hors saison vise ainsi à réduire la dépendance au pic estival et à allonger la période de fréquentation.
Parallèlement, la SDS a cherché à mieux intégrer la station dans son territoire. Elle a signé des conventions avec la commune, développé la formation locale et facilité l’insertion des fournisseurs et coopératives dans la chaîne de valeur régionale. Ce travail de terrain complète des initiatives environnementales précises : maintien du label Pavillon Bleu pour les plages, amélioration du traitement des eaux usées et des déchets, promotion de la mobilité douce, ambition de labellisation « Green Destination » et HQE. Ces démarches s’accompagnent de programmes de restauration écologique, notamment autour de la Moulouya (réhabilitation des dunes, récifs artificiels, projets pilotes d’aquaculture).
Les résultats sont visibles à travers une fréquentation en reprise progressive, une image renouvelée de Saïdia comme station balnéaire « verte » et une activité touristique moins concentrée sur deux mois. Néanmoins, des fragilités demeurent au niveau de la vulnérabilité écologique, la dépendance aux infrastructures d’accès et la nécessité d’un suivi financier et environnemental rigoureux.
Ainsi harmonisé, le renouveau de Saïdia s’inscrit dans une logique progressive et intégrée à un territoire en reconstruction, fondé sur la durabilité et le bénéfice partagé entre acteurs publics, privés et populations locales.




