Dans son discours du Trône du 30 juillet 2025, Sa Majesté a insisté sur la justice territoriale et la nécessité d’éviter « un Maroc à deux vitesses ». Le message est explicite : l’action publique doit réduire les déséquilibres entre régions et garantir des opportunités comparables, quel que soit le territoire.
Appliquée au tourisme, cette exigence pose une question concrète. Meknès bénéficie-elles d’un traitement équitable en matière de positionnement, de promotion et de développement régional juste ?
Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1996, Meknès est souvent présentée comme la « Versailles du Maroc », héritage monumental du sultan Moulay Ismaïl. Pourtant, derrière ce statut prestigieux, la ville peine toujours à transformer son capital historique en moteur économique. La comparaison avec Fez est implacable : même patrimoine exceptionnel, mais trajectoires radicalement différentes en termes de fréquentation, d’investissements et de visibilité internationale. Mais pourquoi Meknès n’arrive-t-elle pas à franchir ce cap ?
Si l’aéroport de Fez-Saïss aurait vu son trafic dépasser les 3 millions de passagers en 2024, Meknès reste un « bénéficiaire secondaire » de cette croissance, faute d’infrastructures propres. Il faut savoir, avant tout, que le transfert entre l’aéroport et la ville, environ 75 km, demeure peu fluide et les services de navettes restent insuffisants.
Le TGV Al Boraq, qui passe par Meknès, n’a pas encore joué son rôle d’accélérateur. Les horaires et l’interconnexion avec les vols internationaux ne sont pas optimisés. Résultat : Meknès ne profite ni pleinement du flux aérien de Fez ni de l’effet vitrine du TGV, contrairement à Tanger ou Rabat.
Quand Marrakech, à titre comparatif, compte plus de 180 hôtels classés 4 et 5 étoiles, Meknès en recense moins d’une dizaine. Ce déséquilibre structurel bride automatiquement son attractivité auprès de la clientèle haut de gamme, celle qui allonge la durée de séjour et dépense le plus.
Les projets annoncés depuis 2018 (boutiques-hôtels dans des riads, resorts de charme dans les vignobles) avancent à petits pas. Les investisseurs se montrent prudents, invoquant à la fois l’absence de vision intégrée et une rentabilité jugée incertaine.
La visite type à Meknès reste confinée à un triangle limité à Bab Mansour, la médina ou le mausolée Moulay Ismaïl. Résultat : un séjour qui dépasse rarement 24 à 36 heures. Pourtant, le potentiel de diversification est immense.
A commencer par l’oenotourisme. Les vignobles de Meknès, qui assurent plus de 50% de la production nationale, sont très peu structurés en routes touristiques, à l’image de Bordeaux ou du Douro, par exemple.
Suit l’écotourisme, la proximité du Moyen Atlas, de la forêt de cèdres d’Azrou ou des lacs d’Aguelmame Sidi Ali ouvre pourtant des perspectives inexploitées.
Contrairement à Fez qui a commencé à promouvoir ses écoles de cuisine et circuits culinaires, Meknès n’a pas encore capitalisé sur sa richesse agroalimentaire locale, tels l’huile d’olive, les fromages de montagne, les produits du terroir, etc.
Le plus alarmant, c’est que son patrimoine se trouve en danger, faute de stratégie qui tienne la route. En effet, depuis l’effondrement du minaret de Khnata Bent Bekkar en 2010, les signaux d’alerte se multiplient. Plusieurs bâtisses de la médina montrent des fissures visibles, certaines zones restent vulnérables aux infiltrations d’eau.
Le problème n’est pas l’absence d’initiatives, sachant qu’en 2024, des programmes de réhabilitation ont bien été lancés, mais l’absence de coordination et de financement durable. Contrairement à Marrakech, qui a su mobiliser un partenariat public-privé robuste pour restaurer ses remparts, Meknès reste fragmentée. Ministères, collectivités, associations et opérateurs privés avancent souvent en ordre dispersé.
Les professionnels locaux reconnaissent qu’environ 65 % des employés du secteur ne sont pas formés aux langues étrangères ni aux standards internationaux de service. Pas de miracle quand cela fragilise la qualité d’accueil et nuit à l’image globale.
À cela s’ajoute une concurrence informelle persistante : guides non agréés, hébergements non déclarés. Faute de données fiables, son poids exact reste difficile à chiffrer, mais les opérateurs estiment qu’il absorbe une part significative du marché, créant un cercle vicieux de perte de recettes fiscales, moindre capacité d’investissement, baisse de compétitivité.
La fragmentation institutionnelle est peut-être l’obstacle le plus sous-estimé. À Meknès, comme ailleurs, l’absence d’une tableau de bord unique de pilotage empêche la convergence des efforts. Essaouira a montré qu’un modèle de gouvernance associant mairie, ministère du Tourisme, opérateurs culturels et privés pouvait transformer une médina fragile en destination mondiale reconnue. Meknès, paradoxalement, n’a pas encore enclenché cette dynamique, malgré ses atouts patrimoniaux comparables.
Meknès possède tout ce que les villes « de destination » recherchent, c’est-à-dire un patrimoine monumental inscrit à l’UNESCO, un terroir agricole riche, une situation géographique stratégique entre Rabat, Fez et le Moyen Atlas. Mais faute d’une stratégie intégrée, la destination reste cantonnée à une étape secondaire dans les circuits touristiques.
L’enjeu consiste notamment dans l’organisation d’une réponse cohérente autour d’un plan d’investissement hôtelier ciblé, orienté vers le haut de gamme et les expériences authentiques et d’une gouvernance concertée public-privé, sur le modèle d’Essaouira, pour faire de la sauvegarde patrimoniale un moteur et non un fardeau.
Épilogue. Meknès peut redevenir une capitale touristique majeure. Mais le temps presse, chaque année de retard creuse l’écart avec ses rivales et fragilise un patrimoine qui, faute de vision, risque de se déliter en silence.




