Quand Saïdia Mediterrania devient lieu de mémoire et d’échanges

Le choix de Saïdia Mediterrania pour accueillir, du 1er au 15 septembre 2025, l’exposition itinérante Belgica Biladi : une histoire belgo-marocaine matérialise une stratégie culturelle et politique qui fait de la mémoire voyageuse un tremplin de visibilité régionale et de diplomatie sociale. L’événement, accueilli au Medina Mall de la station et inauguré le 1er septembre à 17h, est organisé par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME).

Il faut savoir que Belgica Biladi est née à Bruxelles. Conçue et présentée par l’Université libre de Bruxelles (ULB) en mai 2024, l’exposition prend le format d’une exposition-publication rassemblant textes, images et itinéraires individuels. Les commissaires (Ahmed Medhoune, Andrea Rea, Fatima Zibouh) ont voulu établir un récit à la fois historique et mémoriel, accessible en plusieurs langues via des versions numériques et imprimées.   

La trajectoire de l’exposition (Bruxelles → Nador → Saïdia → Al Hoceima) suit des lignes de migration, des épicentres culturels et des lieux de mémoire (Bruxelles pour la réception et la recherche, Nador/Al Hoceima pour le territoire rifain très concerné par l’émigration). Le calendrier et l’itinérance répondent aussi à un objectif de diffusion territoriale du récit, loin des grands musées de capitale.

Sur 37 panneaux, l’exposition retrace l’histoire de l’immigration marocaine en Belgique « des lendemains de la Première Guerre mondiale à nos jours », avec un souci de chronologie ponctuée d’études de cas et de portraits qui cherchent à rendre visibles des trajectoires souvent réduites au chiffre ou au lieu commun. Le fait que les textes soient disponibles et que la version arabe ait été produite par le CCME, est révélateur d’un double objectif qui consiste a toucher à la fois le public local au Maroc et les diasporas/journalistes/chercheurs francophones et néerlandophones.

Ce parti-pris narratif (chronologie, portraits et iconographie documentaire) a des conséquences concrètes. Il place la reconnaissance des premiers migrants (et de leurs descendants) au cœur de la légitimité du récit public, plutôt que de limiter l’histoire à des statistiques d’emploi ou à des analyses économiques. Mais ce cadrage produit aussi un risque : transformer des trajectoires de rupture sociale en success stories commémoratives sans systématiquement ouvrir la discussion sur les politiques d’intégration, le racisme structurel, ou les héritages socio-économiques contemporains. L’exposition touche ces thèmes (les chansons, la poésie, les témoignages évoquent la solitude, le racisme, la séparation), mais l’équilibre entre mise en lumière des réussites et analyse des déficits politiques reste le point sensible d’une exposition de ce type.

Pourquoi Saïdia ? C’est simple. La station a un solide argumentaire d’infrastructures (Medina Mall, marina, hôtels, Aquaparc, golf), accessibilité depuis Oujda et Nador et une stratégie locale qui mise sur le mix MICE / multisports / bien-être pour devenir aussi une « épicentre culturel ». Accueillir Belgica Biladi répond donc à une logique double d’enrichir l’offre culturelle pour les visiteurs et légitimer Saïdia comme espace de projet et d’événement international, hors des circuits classiques de Rabat/Casablanca.

C’est vrai. Saïdia a, ces dernières saisons, multiplié concerts et événements de grande ampleur, montrant une capacité logistique à monter des programmes culturels qui dépassent la simple animation estivale. L’exposition s’inscrit justement dans une stratégie locale de montée en gamme culturelle (soft power régional) et vise aussi à capter une audience marocaine et diasporique différente de la clientèle strictement touristique.

L’hommage rendu à Cheikh Ahmed Lyo, figure de la chanson bédouine née à Berkane, démontre le rôle central de la création musicale dans la mémoire migrante. Les titres évoqués (parmi lesquels Je suis allé à Paris, Si j’avais le passeport, Le poème de l’étranger) sont d’abord des archives sensibles qui traduisent en émotion les fractures liées à l’émigration (séparation, racisme, nostalgie) et font de la chanson un instrument de témoignage politique. Intégrer cette mémoire sonore dans une exposition consacrée à des trajectoires migrantes renforce la dimension humaine du récit et ouvre des pistes de médiation (écoutes guidées, ateliers, archives sonores).

Une exposition a toujours une ligne éditoriale. Belgica Biladi choisit la reconnaissance et la visibilité des acteurs migratoires, c’est légitime et nécessaire, mais l’enjeu pour la suite est de transformer la commémoration en instrument critique pour documenter aussi les stratégies publiques (ou leur absence), les discriminations persistantes, et les conditions de vie contemporaines des jeunes générations issues de l’immigration en Belgique. Autrement dit : passer de la mémoire célébrée à une mémoire mobilisable politiquement et pédagogiquement.

En rester au seul circuit de l’événementiel, même réussi, risque de confiner la portée à un acte symbolique. La force réelle de Belgica Biladi résidera dans sa capacité à se relier à des projets pérennes (archives, écoles, recherches universitaires, programmation culturelle annuelle) et à faire dialoguer les publics belgo-marocains et marocains de l’intérieur précisément l’ambition que traduisent ses partenaires (ULB, Ville de Bruxelles, CCME, Province de Berkane, Société de Développement de Saïdia).

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