Casablanca s’avance tranquillement à pas mesurés dans son développement touristique. La Journée mondiale du tourisme 2025, organisée par le CRT Casablanca-Settat au Sofitel Tour Blanche, a en effet placé sa métamorphose au cœur des débats, ce qui a porté le président Othman Cherif Alami à rappeler que l’enjeu n’est plus de compter les arrivées mais d’opérer une véritable mutation. C’est vrai. Dans une métropole qui compte plus de quatre millions d’habitants, dont l’économie repose autant sur les affaires que sur le patrimoine et la culture, le tourisme doit devenir un moteur de transformation inclusive et responsable.
Les chiffres récents confirment que cette dynamique est déjà enclenchée. Toutefois, ils révèlent une réalité paradoxale. La destination reste incontournable pour les séjours d’affaires, mais peine encore à convertir son potentiel patrimonial et culturel en une offre compétitive face à Marrakech qui dispose de trois fois plus de lits hôteliers.
La comparaison est éloquente. Casablanca-Settat compte environ 28 000 lits classés, contre plus de 90 000 à Marrakech-Safi. Le taux d’occupation dans la capitale économique s’améliore avec 59 % au premier semestre 2025, soit huit points de plus que l’année précédente, mais la capacité d’accueil haut de gamme demeure insuffisante pour rivaliser sur le segment premium ou MICE. L’absence handicapante d’un palais des congrès international, de salles modulaires capables d’accueillir des salons de plusieurs milliers de participants, ou encore d’un musée d’art contemporain à la hauteur du dynamisme artistique local, limite l’attractivité d’une destination pourtant dotée d’un patrimoine art déco unique en Afrique du Nord.
L’enjeu ne réside donc pas dans la quantité, mais dans la qualité. La corniche d’Aïn Diab personnifie cette équation : un front de mer à fort potentiel, encore fragmenté par des aménagements disparates et un entretien irrégulier, alors qu’il pourrait devenir une vitrine internationale combinant loisirs, gastronomie, culture et durabilité. Des projets comme Zenata Green montrent la voie d’un urbanisme côtier repensé, mais la ville met trop de temps à accélérer et à harmoniser sa transformation si elle veut rivaliser avec Barcelone ou Lisbonne, où le littoral est devenu un label d’identité et de prospérité.
La dimension mobilité, désormais incontournable, se traduit à métropole par des chantiers concrets. Le réseau de tramway a déjà modifié les habitudes de mobilité, et la future extension du TGV vers Marrakech prévue pour 2028 renforcera la connectivité. Les investissements aéroportuaires annoncés, à hauteur de 38 milliards de dirhams pour l’ensemble du pays d’ici 2030, prévoient un nouveau terminal hub et une piste supplémentaire pour l’aéroport Mohammed V, consacrant ainsi et toujours son statut d’entrée internationale. Dans le même esprit, des actions d’accompagnement novateur émergent comme les bus touristiques électriques, la signalétique modernisée, les plans de gestion des flux à la médina et au port de croisières. Ce dernier, avec une capacité de 450 000 passagers par an, pourrait générer à lui seul des retombées directes de plusieurs dizaines de millions d’euros si les croisiéristes trouvent sur place une offre d’excursions crédible et bien intégrée.
En plus des infrastructures, l’offre touristique casablancaise tend à se diversifier. Cependant , les circuits courts vers Rabat, la médina, la mosquée Hassan II ou la corniche suffiront peu à séduire une clientèle internationale de plus en plus vigilante. Des expériences thématiques, qu’il s’agisse d’archéologie à Sidi Abderrahmane, de design industriel, de gastronomie street-food ou de créations artisanales, peuvent contribuer à relever le panier moyen et surtout à conforter Casablanca dans une identité singulière, différente de Marrakech ou Fez. La ville ne manque pas d’argumentaires à ce niveau, elle a l’avantage d’une très bonne scène culturelle non stop ou encore une vie nocturne cosmopolite qui, bien structurée, serait une excellente niche vendeuse.
L’horizon 2030, lui, accélère bien la cadence de développement de la ville. Le Conseil régional a déjà annoncé 24,7 milliards de dirhams d’investissements pour moderniser les infrastructures, améliorer la visibilité internationale et soutenir les médinas du territoire. Mais la réussite dépendra de la capacité à articuler ces projets dans une vision cohérente : un palais des congrès emblématique, une corniche rénovée, des musées et des espaces verts qui donnent envie de séjourner, et non seulement de passer.
Casablanca est à un moment fondateur. Si elle réussit à conjuguer son rôle de hub économique et logistique avec une identité culturelle assumée, si elle traduit en actes les principes de durabilité et d’inclusion mis en avant par les Nations Unies, elle peut compter parmi les belles mégapoles émergentes. Le pari n’est pas seulement touristique, il engage également l’avenir urbain, social et environnemental de toute la métropole. Et c’est peut-être là la véritable singularité de Casablanca 2025, une ville qui cherche à se transformer elle-même, pour être à la hauteur de son rayonnement et de ses habitants…




