Enquête sur une convention qui brille davantage sur le papier que sur le terrain.
Rehamna, encore une fois, est présentée comme la “future destination prometteuse” du Maroc rural. Mais derrière la mise en scène institutionnelle de la signature, hier vendredi 28 novembre, entre le ministère du Tourisme, la province et la SMIT, une réalité autrement plus complexe apparaît. On est tenté de penser, en effet, que la province semble avoir été entraînée dans un cycle répétitif de promesses sans suite, où les annonces bien intentionnées remplacent systématiquement les réalisations.
D’après des opérateurs locaux rencontrés à l’occasion du Festival International du Film de Marrakech, la convention ressemble davantage à un habillage stratégique qu’à un véritable plan de transformation. Et plusieurs contradictions majeures en minent la crédibilité.
Explication.
La convention évoque la structuration de circuits, la création de contenus, la qualification des hébergements. Pourtant, la majorité des douars ciblés ne disposent ni de signalétique, ni de sanitaires publics, ni d’espaces d’accueil minimaux. Qui plus est, plus de 70 % de l’offre dite touristique n’est pas formalisée, selon les données internes consultées par nos soins. Quant à la route menant à certains sites identifiés dans le projet, elle est en terre battue, impraticable en période de pluie.
Comment parler alors de circuits thématisés quand le visiteur ne peut pas accéder aux sites sans véhicule tous terrains?
Comment proposer du « stargazing » ou de l’immersion communautaire quand personne n’a été formé à l’accueil touristique de niveau professionnel ?
L’écart entre la présentation, déclinée par communiqué de presse, et la réalité opérationnelle est juste abyssal.
L’annonce met en avant des Bubble Dômes, des lodges en pierre, des expériences communautaires premium. Or, aucun investisseur privé local n’a encore exprimé, à notre connaissance, d’intérêt réel pour de tels produits. Mieux, les porteurs de projets communautaires indiquent ne pas avoir été consultés durant la préparation de la convention. Selon les chiffres de la province, plus d’un tiers des projets d’hébergement rural lancés depuis 2015 sont à l’arrêt.
Autrement dit, le ministère du Tourisme promet un écosystème qui n’existe pas, pour une clientèle qui n’est pas encore identifiée, sur un territoire qui n’a pas les infrastructures nécessaires.
Le produit montgolfière, cité dans ledit communiqué, profite plutôt à Marrakech, pas à Rehamna. C’est présenté comme le projet locomotive. Mais sur le terrain, la réalité est implacable car les départs sont supposés se faire depuis Boros… mais les ventes sont réalisées à Marrakech et les tours-opérateurs sont basés à Marrakech. Normal que la chaîne de valeur, transport, marketing, paiements, back-office, est entièrement marrakchie. Donc, les retombées fiscales et économiques pour Rehamna sont quasi nulles, selon plusieurs sources internes.
Pire. Plusieurs opérateurs de montgolfières que nous avons pu avoir reconnaissent qu’un ancrage économique à Rehamna n’est même pas envisagé, faute d’écosystème touristique local.
Comment peut-on, dès lors, présenter ce produit comme locomotive?
Autre point d’ombre, le communiqué ne précise ni les enveloppes financières, ni les sources de financement, ni non plus les mécanismes de suivi. Aucun calendrier précis. Aucun engagement chiffré. Aucun dispositif de gouvernance local clairement défini. Aucun mécanisme de reddition des comptes…
Un ancien cadre régional, sous couvert d’anonymat, confie : « Rehamna a connu six conventions en dix ans. Aucune n’a dépassé l’étape de lancement médiatique. Le problème n’est pas l’idée : c’est l’absence totale d’architecture opérationnelle. »
La nouvelle convention semble reproduire exactement la même architecture creuse.
L’ambition du ministère du Tourisme parle d’innovation, d’expériences immersives, de montée en gamme et d’investissement privé. Mais la stratégie repose encore sur des micro-projets fragiles, sur des coopératives non formées, sur un territoire sans ingénierie touristique et sur des opérateurs extérieurs qui capteront l’essentiel de la valeur.
En clair, on habille un schéma ancien avec des mots nouveaux.
Le vrai enjeu, soigneusement évité, demeure surtout la gouvernance locale. Aucun expert ne croit à l’émergence d’une destination sans une structure locale de coordination et un budget pluriannuel sécurisé.
Rien de tout cela n’apparaît dans la convention. Et c’est peut-être là l’élément le plus révélateur.
On parle de produits, mais aucunement de gouvernance. Or, au Maroc comme ailleurs, ce sont les territoires qui gouvernent bien et non ceux qui communiquent bien qui réussissent leur transformation touristique.
Rehamna mérite une stratégie capable de tenir dans le temps. Pour l’instant, elle n’a qu’un document ambitieux mais incomplet, séduisant mais fragile, inspirant mais contradictoire.
La convention pourrait être le début d’un vrai tournant. Ou bien elle pourrait devenir la septième promesse non tenue d’une province habituée aux projets qui ne survivent pas à leurs photos officielles.
Pour qu’elle marque réellement un avant et un après, il faudra plus qu’une signature.
Il faudra des preuves.




