La RAM se remet en forme

Royal Air Maroc s’apprête à matérialiser le plus vaste investissement de son histoire, à hauteur de 15 milliards de dollars, pour acquérir 188 avions et 60 moteurs de rechange. Cette opération colossale s’inscrit normalement dans un plan d’expansion qualifié d’ambitieux visant à porter la flotte de la compagnie nationale à 200 appareils d’ici 2037. Pour ce faire, des discussions avancées sont actuellement en cours avec les principaux constructeurs aéronautiques mondiaux -Airbus, Boeing, Embraer et ATR- en plein contexte de redéfinition profonde du transport aérien régional et international.

L’envergure de cet investissement marque certainement une rupture décisive avec les cycles timides d’auparavant de modernisation de la flotte. Jusqu’ici positionnée comme une compagnie de taille intermédiaire en Afrique, il paraît clair que la RAM affiche désormais des ambitions de leadership continental et de développement global. La cible de 200 avions représente, en effet, une multiplication par près de quatre de la flotte actuelle, estimée à environ 50 appareils. Cette croissance a pour objectif de renforcer l’offre long-courrier, densifier le réseau régional africain et accroître les capacités domestiques et intercontinentales, notamment vers l’Amérique du Nord, l’Europe et le Moyen-Orient.

Le choix d’ouvrir les négociations à quatre avionneurs traduit évidement une stratégie de diversification assumée. RAM cherche à obtenir des conditions commerciales optimales, mais aussi à adapter sa flotte à une variété d’usages : gros porteurs pour les longues distances, monocouloirs pour les dessertes continentales, avions régionaux pour la connectivité intérieure et les marchés de niche. Airbus et Boeing se disputent naturellement les parts du segment moyen et long-courrier, tandis qu’Embraer et ATR offrent des solutions plus flexibles pour les marchés secondaires, où la demande reste fluctuante.

Ceci implique des enjeux économiques et géopolitiques. Car ce programme d’investissement s’inscrit dans une logique de soutien aux ambitions du Maroc en matière de connectivité internationale, mais aussi de renforcement du hub de Casablanca comme plateforme de transit entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques. Il pourrait également contribuer à consolider le rôle du Royaume d’acteur stratégique dans le transport aérien africain, où la concurrence s’intensifie avec Ethiopian Airlines, EgyptAir ou encore la nouvelle entité panafricaine récemment annoncée par Kenya Airways et South African Airways.

Il est indéniable que cette expansion aura des retombées industrielles significatives, notamment en matière de formation, de maintenance et de développement des filières aéronautiques locales. Elle pourrait servir de catalyseur à un écosystème aérien intégré, en ligne avec la stratégie industrielle nationale du Maroc.

C’est là un défi opérationnel majeur. La réussite de cette transformation dépendra plutôt d’une maîtrise rigoureuse des dimensions opérationnelles : gestion du capital humain qui demeure d’ailleurs discutable, renforcement des capacités techniques perfectibles, modernisation des systèmes d’information, et montée en gamme de l’expérience client. RAM devra notamment résoudre les défis liés à la maintenance, à l’intégration des nouveaux appareils et à la formation des pilotes, dans un contexte de pénurie mondiale de talents aéronautiques.

Quoiqu’il en soit, avec ce projet d’expansion historique, Royal Air Maroc redéfinit par là sa vocation, ses ambitions et son positionnement dans un marché mondial en mutation. L’enjeu est double : corriger l’image de RAM comme acteur de premier plan sur le continent tout en projetant l’image d’un Maroc résolument tourné vers l’avenir. La réussite de ce pari stratégique pourrait faire de la compagnie un exemple de transformation audacieuse dans l’aviation mondiale.