Ismaïl Loubaris quitte Accor

Après Hamid Bentahar, c’est au tour d’Ismaïl Loubaris de quitter le navire Accor. Son départ du groupe constitue un signal fort dans une industrie hôtelière maison en pleine recomposition, particulièrement au Maroc et en Afrique du Nord. Figure de proue jeune d’un management alliant innovation digitale, intelligence commerciale et conscience territoriale, Loubaris laisse tout de même une empreinte indélébile sur la trajectoire du groupe Accor dans une région stratégique, particulièrement dans son pays le Maroc. Son passage, souvent peu médiatisé par humilité mais profondément structurant, cristallise les enjeux de fond que traverse généralement l’hôtellerie contemporaine : diversification, digitalisation, territorialisation et durabilité qui l’ont d’ailleurs profondément impacté et qu’il en d’ailleurs fait sa feuille de route chez Accor.

Le parcours d’Ismaïl Loubaris révèle une rare complémentarité entre univers numériques et hôteliers. Issu de l’e-commerce, avec un passage remarqué à Superdeal.ma, puis chez Booking.com pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest, il intègre Accor en 2016. Rapidement promu, il devient Directeur Commercial & Marketing pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest.

Ce double ancrage – tech et tourisme – lui confère une capacité d’anticipation stratégique, utile dans un secteur confronté à l’ubérisation, à l’évolution rapide des usages clients et à une pression concurrentielle croissante, tant locale qu’internationale.

En assumant avec responsabilité son poste, Accor au Maroc s’est engagé dans une dynamique d’expansion ambitieuse mais maîtrisée. L’objectif affiché de doubler le parc hôtelier d’ici 2030 s’est traduit par une approche multicouche : développement simultané des marques économiques (Ibis), premium (Novotel, Mercure), luxe (Fairmont, Sofitel) et lifestyle (Tribe, Handwritten Collection).

Sa capacité marketing à adapter le portefeuille aux spécificités territoriales – Casablanca pour le corporate, Marrakech pour le luxe, Dakhla pour l’écotourisme et Tanger pour les city breaks – démontre en fait une stratégie de maillage intelligent du territoire. Une segmentation affinée, qui traduit une vision valorisant les potentialités de villes émergentes en parallèle des métropoles établies.

Loubaris a sans doute baigné dans la transformation structurelle d’Accor Maroc. La reprise en main d’Accor Gestion Maroc par le groupe, suite à la cession des participations dans Risma, s’inscrit dans la stratégie « asset light » du groupe à l’échelle mondiale. Mais au Maroc, cette opération a aussi permis une clarification des responsabilités, une gouvernance plus directe, et une meilleure synergie entre stratégie commerciale et opérationnelle.

Ce repositionnement organisationnel a facilité une accélération des décisions, un recentrage sur les marques et la distribution, ainsi qu’une meilleure réactivité face aux signaux du marché – autant de facteurs critiques dans un contexte post-Covid où l’adaptabilité devient un levier de compétitivité majeur.

Loin de se cantonner à une vision élitiste du tourisme, Loubaris a été l’un des rares challengers à intégrer pleinement la dimension du voyage intérieur dans la stratégie commerciale d’un grand groupe. À travers des initiatives comme la campagne ALLFBLADNA, il a contribué à la promotion d’un tourisme des Marocains par les Marocains, redonnant du sens au voyage domestique au-delà des impératifs économiques.

Loin des effets d’annonce, Ismaïl Loubaris a porté une digitalisation concrète et intégrée. Avec sa ténacité collaborative continue, Accor au Maroc a généralisé le check-in digital, lancé des outils de conciergerie virtuelle, et renforcé la plateforme de fidélité ALL (Accor Live Limitless).

Plus encore, l’exemple de l’Ibis Casa-Voyageurs, pionnier en matière de digital et d’écoconception (bâtiment HQE, énergies renouvelables), met en évidence un modèle de transformation responsable, où l’innovation technologique se conjugue à l’efficience environnementale. Loubaris a su articuler ces dimensions dans une vision opérationnelle cohérente, bien au-delà du simple discours.

Le départ d’Ismaïl Loubaris intervient à un moment charnière pour Accor. Alors que la perspective de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et de la Coupe du Monde 2030 ouvre des horizons de croissance exceptionnels, son absence pourrait laisser un vide stratégique, tant son pilotage alliait finesse territoriale et profondeur systémique.

Ce départ pourrait également refléter un repositionnement personnel vers de nouveaux défis. Que ce soit au sein d’un autre grand groupe ou dans une aventure entrepreneuriale, l’expertise transversale qu’il possède – à la fois commerciale, digitale, territoriale et managériale – est rare et précieuse dans un secteur à la recherche de nouveaux paradigmes.

Certainement, son départ doit être lu comme une invitation à poursuivre cette dynamique en consolidant les acquis tout en réinventant les approches. Car au-delà des chiffres et des ouvertures, c’est bien une vision systémique du tourisme bien marocaine et futuriste qu’il a contribué à forger – à la croisée de l’efficacité, de l’équité et de l’innovation.