11 juillet 2025

Regards croisés sur le projet de loi n°80-14 des établissements touristiques

Le projet de loi n°80-14 relatif aux établissements touristiques et aux autres formes d’hébergement représente incontestablement une réforme structurante. Ce texte porte en effet une vision transformationnelle du secteur, en réponse à des mutations profondes du marché, à l’explosion des formes d’hébergement alternatives et à l’impératif croissant d’alignement sur les engagements environnementaux et sociaux du pays.

Ce projet de loi opère une mise à niveau systémique en intégrant dans son périmètre ces formes d’hébergement hybrides et ancrées localement. En procédant à une harmonisation réglementaire, il vient offrir à ces structures un cadre juridique clair, leur permettant d’évoluer vers une professionnalisation encadrée, avec des obligations et des droits reconnus. C’est un mobilisateur de premier plan pour structurer le segment de l’offre alternative, qui représente aujourd’hui près de 40 % de la capacité d’hébergement dans certaines régions rurales et patrimoniales, comme Chefchaouen ou Aït Ben Haddou.

L’un des apports majeurs du projet réside dans l’introduction de critères de classement transversaux. Contrairement à l’ancien système fondé principalement sur les infrastructures physiques (nombre de chambres, présence de piscine, services de conciergerie…), le nouveau modèle introduit des dimensions qualitatives : expérience client, gouvernance responsable, sécurité sanitaire, performance énergétique et intégration territoriale.

Ainsi, un établissement pourra désormais être évalué en fonction de sa capacité à valoriser les produits locaux, à employer de la main-d’œuvre formée localement, ou à limiter son empreinte carbone. Cette évolution rapproche le système marocain des standards ISO en matière de qualité de service touristique et des labels internationaux de durabilité (comme Green Key ou EarthCheck).

De sa part, le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) propose une piste structurante : la mise en place d’un système bipartite de classification, dans lequel l’État définit les normes en collaboration avec les opérateurs du secteur, mais délègue l’évaluation et le contrôle à des organismes indépendants habilités, sur le modèle de l’Afnor ou de SGS.

Ce système renforcerait la lisibilité et la crédibilité du classement, tout en désengorgeant les administrations locales souvent dépassées par les volumes de demandes. Il permettrait aussi une meilleure adaptation aux réalités régionales, en tenant compte des spécificités culturelles, géographiques et économiques de chaque territoire.

Malgré ses avancées, le projet de loi reste confronté à plusieurs points de vulnérabilité. D’une part, la capacité d’absorption des nouvelles normes par les petits opérateurs (souvent en situation informelle ou faiblement capitalisés) est incertaine. Sans dispositif d’accompagnement -formation, soutien administratif, financement adapté-, une partie de l’écosystème pourrait être exclue ou marginalisée.

D’autre part, le texte reste, selon le CESE, discret sur la dimension sociale du développement touristique, notamment en matière de conditions de travail, de sécurité de l’emploi ou d’intégration des jeunes et des femmes dans les zones rurales. Il manque également une véritable stratégie RH nationale pour accompagner la montée en gamme du secteur, alors même que la pénurie de personnel qualifié constitue un frein majeur à l’amélioration du service client.

Enfin, l’opérationnalisation du projet dépend de la publication rapide des textes d’application, sans lesquels la loi risque de demeurer lettre morte. À titre de comparaison, la loi 05-12 sur les guides touristiques a mis plus de six ans à produire ses effets concrets, faute de circulaires et de mécanismes de mise en œuvre.

En introduisant explicitement des principes de gestion écologiquement responsable, le projet inscrit la réforme dans une logique de durabilité. Il s’aligne ainsi sur les recommandations de la COP22 à Marrakech et les engagements pris dans le cadre de l’Agenda 2030. Les établissements devront désormais prendre en compte leur consommation énergétique, leur gestion des déchets, ou encore leur impact sur les ressources en eau.

Cette orientation ouvre la voie à une labellisation environnementale nationale, qui pourrait stimuler les investissements verts dans le secteur, notamment à travers des incitations fiscales ou des mécanismes de financement climatique comme le Fonds Vert pour le Climat.

Cependant, l’efficacité du projet de loi dépendra de la cohérence de sa mise en œuvre, de la capacité de l’État à mobiliser ses partenaires régionaux et privés, et de la création d’un véritable écosystème d’accompagnement et de contrôle, apte à soutenir la transition sans exclure.

Le Maroc, s’il parvient à transformer cette réforme en dynamique d’investissement et de qualité, pourrait enfin ancrer sa stratégie touristique dans un modèle d’excellence adapté à ses atouts territoriaux, culturels et humains. Un modèle capable d’allier attractivité internationale et développement local équilibré.

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