Pourquoi une loi-cadre sur le tourisme n’a encore jamais vu le jour ?

Une nécessaire loi-cadre sur le tourisme serait une réponse structurante à un secteur malmené par de l’indifférence stratégique, malgré les bons et loyaux services menés par les professionnels et la montée en flèche des indicateurs du tourisme au Maroc, car le tout va bien Mme la marquise est devenu à la fin très lassant, en plus de l’ajustement réglementaire tatonnant qui va de soi. Comment ?

Dans le sillage de la loi 80-14 et de ses textes d’application, publiés au Bulletin Officiel en 2025, l’idée d’une grande loi sur le tourisme -un code clair, cohérent et intégré- n’est plus une hypothèse, mais une exigence stratégique pour organiser, protéger et projeter le secteur dans une économie mondialisée, numérisée et en quête d’expériences hybrides. Une réforme silencieuse aux effets tectoniques, quoi !

D’accord, l’adoption de la loi 80-14 et de ses cinq arrêtés récents constitue une rupture salutaire avec un cadre normatif longtemps jugé obsolète, opaque et inadapté aux mutations profondes du marché. Désormais, le secteur touristique marocain ne se structure plus uniquement autour de l’hôtellerie traditionnelle, mais s’élargit à des formes multiples : Airbnb, hébergements immersifs, tourisme participatif, écolodges, glamping, bivouacs et résidences hybrides.

Le véritable changement de paradigme tient à deux éléments précis : D’un côté, la fin de la segmentation institutionnelle entre le formel et l’informel. Jusqu’à récemment, près de 20 % de l’offre nationale d’hébergement échappait à toute régulation, tout en concurrençant frontalement les opérateurs formels soumis à une fiscalité, des normes et des inspections régulières. De l’autre côté, la mise en place d’un système de classement harmonisé et universel fondé sur une grille qualitative développée avec l’OMT, incluant des visites mystères, une première en Afrique du Nord. Cela permet de sortir d’un système déclaratif souvent biaisé pour passer à une évaluation rigoureuse de la qualité réelle de service.

Tout cela est bon à prendre, mais l’évolution actuelle du secteur met en évidence le besoin d’un socle législatif multi-sectoriel plutôt unifié, capable de régir les interactions complexes entre les opérateurs, les territoires, les collectivités, les plateformes numériques, les investisseurs, les clients et les administrations. Ce que la loi 80-14 et ses arrêtés inaugurent, une loi-cadre cohérente doit le consolider, amplifier et sécuriser dans le temps.

Trois raisons concrètes justifient cette nécessité :

1. Le secteur devient pluri-acteurs, pluri-formats et pluri-niveaux : La montée des hébergements alternatifs, l’intermédiation numérique et la redéfinition des chaînes de valeur exigent un cadre transversal, allant au-delà de la seule classification ou des permis d’exploitation. Cela nécessite de repenser la gouvernance sectorielle, y compris à l’échelle des communes touristiques, qui doivent être outillées pour faire appliquer des normes sans bloquer l’innovation.

2. L’absence d’un cadre intégré pénalise l’investissement : De nombreux projets hybrides (comme les résidences touristiques locatives, ou les concepts de “hospitalité partagée”) peinent à trouver leur place dans les grilles d’éligibilité aux aides publiques, aux financements ou aux subventions. Une loi-cadre peut clarifier ces statuts émergents et faciliter les montages juridiques adaptés.

3. La visibilité internationale du Maroc dépend désormais de sa régulation.

Àu niveau des comparateurs mondiaux, des avis en ligne et de la transparence algorithmique, l’alignement sur des normes internationales est un atout marketing autant qu’un enjeu de souveraineté touristique. Une réglementation claire, moderne, intégrée est un gage de confiance pour les plateformes, les tour-opérateurs et les investisseurs étrangers.

Plutôt qu’une simple loi technique, certains experts notent que le Maroc a l’opportunité de construire un véritable code du tourisme cohérent, lisible et ancré dans les spécificités du territoire. Comme la création de régimes spécifiques pour les maisons d’hôtes, l’hébergement chez l’habitant, les résidences à usage mixte ou les campements éphémères, l’encadrement des relations entre établissements marocains et plateformes internationales, notamment en matière de transparence tarifaire, fiscalité, et traitement des données client, l’attribution aux collectivités territoriales des compétences élargies sur la gestion des flux touristiques, l’urbanisme touristique, et la création d’offices régionaux opérationnels, l’obligation des cahiers des charges environnementaux renforcés pour les projets dans les zones sensibles (déserts, littoral, zones forestières), avec des mécanismes de contrôle et de sanction effectifs et l’intégration des mécanismes d’incitation pour les projets qui créent de l’emploi local, favorisent l’inclusion des femmes ou des jeunes, ou s’appuient sur les savoir-faire patrimoniaux.

Exemple de réformes internationales comparables. Des pays comme le Portugal (avec son Statut de l’Hébergement Local) ou l’Indonésie (via le Bali Tourism Board Act) ont su adapter leur législation pour cadrer sans freiner l’émergence d’une offre touristique nouvelle, fondée sur la diversité, l’authenticité et la responsabilité. Le Maroc peut, pourquoi pas, s’inspirer de ces modèles, tout en tenant compte de ses spécificités sociales, foncières et culturelles.

C’est une opportunité politique et économique à ne pas manquer. Le momentum est déjà là : les opérateurs s’ajustent, l’administration modernise enfin ses outils, les visiteurs changent de profi, et les flux touristiques repartent à la hausse. Avec une période transitoire de 24 mois pour l’adaptation aux nouvelles normes, le cadre est idéal pour engager une co-construction législative ambitieuse, associant le privé, le parlement, les régions et les fédérations professionnelles.

Ce processus pourrait déboucher sur la première grande Loi d’orientation du tourisme marocain, offrant une vision structurée à l’horizon 2030, en ligne avec les objectifs de la Coupe du Monde, les exigences du développement durable, et les nouvelles attentes de la clientèle internationale.

La question n’est donc plus de savoir s’il faut une nouvelle loi sur le tourisme, mais quel type de loi permettra au Maroc de passer du statut de destination attractive à celui de destination de référence. Cette législation à venir ne doit, de ce point de vue, pas simplement gérer l’existant, mais anticiper les mutations, encadrer les innovations et sécuriser les investissements.

En effet, le tourisme marocain a plus besoin que jamais et maintenant de règles claires, justes et évolutives, pour faire de l’hospitalité un secteur pérenne, inclusif et compétitif, au-delà de la CAN 2025 et du mondial de foot 2030…

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