Nous sommes tous d’accord que le Gouvernement s’est fixé le cap audacieux de faire du tourisme l’un des moteurs structurants du développement économique et social du Maroc d’ici 2030. Incontestablement, la Coupe du Monde 2030 en est le symbole adducteur le plus fort. Mais à côté de cette ambition, il y a la mécanique. et c’est là que les défis apparaissent. En est-elle bien huilée, pour autant, pour tenir la route à bonne vitesse et sans panne ?
Certes, le Maroc bénéficie d’un avantage compétitif rare : sécurité intérieure, stabilité politique et une hospitalité citoyenne reconnue par tous. L’Organisation mondiale du tourisme le cite d’ailleurs régulièrement comme destination montante. L’objectif de 20 millions de visiteurs d’ici 2026 paraît atteignable, mais la trajectoire jusqu’en 2030 exige plus qu’un simple flux de touristes mais véritable tremplin de création de valeur et d’emplois pour les jeunes.
Trois dispositifs mis en place avantagent précisément les efforts du gouvernement :
-1 milliard de dirhams injectés pour rénover 850 hôtels après la crise du Covid. La mise en œuvre a été saluée avec peu de contestations, des rénovations visibles sur le terrain.
-Cap Hospitality, doté de 4 milliards de dirhams, permettant aux hôteliers de contracter des crédits à taux d’intérêt pris en charge par l’État. Mais ici, les blocages bancaires freinent, pour la bonne raison que près de 30 % des projets agréés n’ont pas été financés, faute de garanties ou de transparence comptable.
-Le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, censé mobiliser 20 milliards de dirhams dans le secteur. Annoncé avec éclat, il suscite désormais un silence inquiétant. Les professionnels attendent des signaux concrets sur les prises de participation ou les rachats d’actifs.
Le tourisme ne se construit pas seulement depuis Rabat. Or, la coordination avec les régions reste fragile, quoique l’on dise. Agadir a pris de l’avance avec une société régionale de développement touristique, et Marrakech reste active via son CRT. Mais ailleurs, les budgets manquent, la stratégie est floue et les projets stagnent. L’écart territorial risque de se creuser, alors que la stratégie 2030 exige une mobilisation homogène et vite.
Même lorsque le financement existe, les terrains manquent. À Casablanca, Fez, Tanger ou Agadir, les fonciers touristiques deviennent rares et chers. Les promoteurs sont contraints de s’éloigner des centres, ce qui complique la rentabilité. À Marrakech, la suspension des autorisations de « non-vocation agricole » a gelé une trentaine de projets, consacrant une fois encore la lourdeur administrative qui paralyse la dynamique d’investissement.
L’industrie touristique au Maroc a démontré qu’elle est l’un des rares secteurs capables d’absorber rapidement les jeunes sans emploi ni diplôme. Pourtant, malgré les conventions signées entre le ministère et l’OFPPT, aucun bilan clair n’a été publié. Former 50 000 à 100 000 jeunes en filières courtes, adaptées aux besoins réels en hébergement, restauration, guidage, transport touristique et animation reste une promesse non tenue. À l’approche de la Coupe d’Afrique 2025 et de la Coupe du Monde 2030, l’urgence est évidente.
Il serait injuste de nier les résultats. En effet, le Maroc est redevenu une destination majeure post-Covid, les recettes dépassent les 120 milliards de dirhams et la croissance du secteur contribue à réduire le chômage. Mais le danger est justement là en persistant à croire que la dynamique actuelle suffit. Paradoxalement, sans audit sérieux des mécanismes financiers, sans simplification administrative et sans réforme foncière, les ambitions 2030 risquent de se heurter à une machine trop lente qui sable à faible vitesse.
Les ambitions sont immenses, les outils existent, la volonté est claire. Mais l’efficacité reste entravée par des blocages bancaires, un manque de coordination territoriale, la rareté foncière et une lenteur administrative incompatible avec les échéances internationales à venir.
Si le Maroc veut réussir son pari 2030, il lui faudra non seulement investir, mais aussi réformer sa gouvernance touristique en profondeur qui passe par la clarification des responsabilités, fluidifier les procédures et placer la formation et l’emploi au cœur de la stratégie. L’élan est là. Mais il ne doit pas être freiné par une machine encore trop lourde pour l’ambition royale…




