Croissance ou illusion? La face cachée du miracle touristique marocain

Il faut d’abord nommer la vérité. La résilience du tourisme marocain est éminemment incontestable. Peu de secteurs économiques nationaux ont, en effet, réussi un redécollage aussi rapide, aussi massif et aussi symbolique.

Les chiffres parlent de plus de 11 millions de visiteurs en 2022, 14 millions en 2023, 16,6 millions en 2024, et une projection sérieuse autour de 20 millions de visiteurs à fin 2025. À l’échelle internationale, le Maroc figure désormais parmi les destinations ayant récupéré, et même dépassé, ses niveaux pré-Covid plus rapidement que plusieurs pays méditerranéens ou africains concurrents.

Cet envol est, en grande partie, du à la modernisation accélérée des infrastructures aéroportuaires, l’extension et réhabilitation des réseaux autoroutiers et ferroviaires, la montée en gamme ciblée de l’offre hôtelière dans des zones premium et une visibilité internationale décuplée par l’accueil d’événements sportifs et culturels majeurs, Coupe du Monde 2030, festivals internationaux, congrès continentaux, etc.

Sur le papier, c’est un modèle gagnant. Dans la communication officielle, une réussite éclatante. Dans les statistiques globales, une performance solide.

Mais derrière ces jolies formules convenablement saupoudrées, se cache, hélas, une réalité beaucoup plus contrastée et beaucoup moins explorée.

Le grand angle mort demeure la balance touristique, ce chiffre que presque personne ne commente…

Récapitulons ! Le tourisme serait aujourd’hui responsable de plus de 7 % du PIB national. Les recettes ont atteint 113 milliards de dirhams sur les dix premiers mois de 2025, dépassant déjà les totaux annuels de certaines années pré-Covid. Un record, salué, amplifié et largement médiatisé.

Mais un autre chiffre, nettement moins relayé, mérite une attention prioritaire ; Il s’agit de celui des dépenses des Marocains à l’étranger, qui ont atteint 27,54 milliards de dirhams sur la même période, en hausse d’environ 11 %.

Le solde réel de la balance touristique ne serait donc que de 85,71 milliards de dirhams.

Pourquoi ce chiffre est-il si peu mis en débat ? Pourquoi n’est-il quasiment jamais intégré dans les analyses structurelles du secteur ? Pourquoi la politique publique ne s’appuie-t-elle que sur les recettes brutes, sans jamais intégrer la fuite financière parallèle ?

Cette omission n’est pas neutre. Elle donne l’illusion d’une performance totale, alors que la réalité est bien plus nuancée. Elle entretient une forme d’autosatisfaction statistique alors que la rentabilité nette reste sous-optimale pour un pays aussi touristique que le Maroc.

L’autre manie du discours officiel repose sur les volumes, toujours plus de visiteurs, toujours plus de nuitées, toujours plus d’arrivées. Alors que, d’ordinaire, un secteur dynamique ne se juge pas uniquement à ses flux, il se juge à sa valeur créée.

En dépit de la hausse des arrivées, le taux d’occupation moyen des hôtels classés tourne autour de 50 %. Seules certaines destinations (Marrakech, Agadir) atteignent 70 % en haute saison, ce qui reste en deçà du potentiel.

Autrement dit, les touristes sont là, mais ils ne remplissent pas pleinement l’offre structurée et, donc, les investissements hôteliers offrent un retour incomplet. Ce qui pose la question fondamentale de rentabilité réelle, tant pour les opérateurs que pour l’État.

-Moins de 3 nuits en moyenne dans les hôtels classés marocains. À titre comparatif : L’Égypte : environ 10 jours et l’Afrique du Sud : 4 nuits minimum, avec -un taux d’occupation proche de 60 %

Parabole : Le Maroc attire, mais il ne retient pas. Qui plus est, notre pays devient une étape, une escale, un “shot” d’exotisme… mais pas un voyage durable.

-Dépense moyenne par jour : Maroc : moins de 70 dollars. Égypte : environ 93 dollars.

Ce différentiel implique un problème de valeur perçue de structuration de l’expérience et, surtout, de stratégie de montée en gamme.

Voici le cœur du problème que presque personne n’ose aborder frontalement :

Une proportion massive et croissante des visiteurs séjourne désormais dans des structures non classées ou non déclarées :

-Airbnb & plateformes similaires

-Appartements privés loués au noir

-Maisons d’hôtes non reconnues

-Gîtes ruraux sans statut officiel

-Chambres chez l’habitant hors cadre

-Camping sauvage et road-trip en vans aménagés

-Caravaning hors terrains homologués

Ces visiteurs sont comptabilisés dans les chiffres d’arrivée, mais absents des statistiques hôtelières, fiscales et réglementaires.

Ils bénéficient de l’écosystème touristique marocain d’infrastructures, propreté, sécurité, patrimoine mais ne contribuent pas équitablement à l’économie formelle.

Résultat ? Perte directe de taxes de séjour, concurrence déloyale envers l’hôtellerie structurée, déstabilisation du marché locatif local, notamment à Marrakech et Essaouira, impossibilité de planification précise et statistiques faussées pour les décideurs.

Le pilotage devient alors… aveugle.

Le paradoxe est saisissant quand l’État se félicite de la croissance des arrivées, mais refuse d’adresser le fait que le moteur réel de cette croissance échappe en grande partie au système qu’il administre.

On gère un secteur sur la base d’un modèle ancien de l’hôtel classé, alors que le monde entier bascule vers les plateformes diffuses.

Ce décalage crée une illusion d’ordre, alors que la réalité est une fragmentation anarchique de l’offre.

Si rien n’est fait, le Maroc s’expose à une détérioration qualitative progressive de l’expérience touristique, aggravée par une perte fiscale massive non compensée et une banalisation de sa destination, victime de son propre succès.

Nous ne voulons pas de cela !

La vraie question est ailleurs. Veut-on plus de touristes, ou de meilleurs touristes ? Veut-on plus de chiffres, ou plus de valeur ? Veut-on un tourisme massif ou stratégique ?

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