Marrakech à l’ère de sa post-vérité, ses illusions et ses réalités étouffées

Marrakech serai-elle devenue la vitrine déformée d’une réussite programmée? Car il est aujourd’hui devenu banal, presque convenu, d’ériger Marrakech en modèle du succès marocain : afflux touristique constant quasi de masse, envolée de l’investissement hôtelier à bout de champ sacrifiant des superficies arables, reconnaissances internationales en bousculade… Pourtant, sous les feux des projecteurs, une autre réalité affleure, bien moins séduisante et de moins en moins dissimulable.

Car ce que l’on présente comme un succès est aussi le résultat d’une planification morcelée, souvent opportuniste, qui trahit les promesses fondatrices du développement équilibré et durable. En témoigne un chiffre passé sous silence : 25 documents d’urbanisme homologués ces dernières années, censés coordonner l’évolution du territoire marrakchi… mais qui, dans les faits, risquent de transformer Marrakech en un M’Hamid géant, un tissu urbain diffus, étalé, à la densité mal maîtrisée et sans réelle vision d’ensemble.

C’est comme qui dirait Quand les convictions remplacent les preuves, le brouillard post-vérité s’installe. Le cas de Marrakech illustre parfaitement, en effet, ce que certains politologues appellent l’ère de la post-vérité : un moment où les croyances, les perceptions et les narratifs séduisants prennent le pas sur les données concrètes et les engagements vérifiables.

On parle abondamment de « smart city », de « Marrakech verte », de « pôles d’excellence » ou de « zones de développement touristique intégré ». D’accord. Mais combien de ces labels correspondent à une amélioration tangible des conditions de vie pour les habitants des quartiers périphériques ?

Les zones comme Douar Sidi Youssef Ben Ali, El Azzouzia ou Massira III, éloignées des axes de prestige, continuent de souffrir d’un accès inégal aux services publics, à l’éducation, aux transports ou à la culture.

On évoque, à demi-mot, le Schéma Directeur d’Aménagement Urbain (SDAU) 2040, censé être le cadre structurant de l’urbanisation à long terme de Marrakech. Or, qu’est-il réellement advenu de ce document stratégique ?

Adopté dans une relative discrétion, rarement débattu publiquement, il semble aujourd’hui évacué des discussions politiques comme techniques. Aucun suivi d’exécution clair, aucun tableau de bord opérationnel accessible, aucune transparence sur les arbitrages budgétaires réalisés en fonction de ses priorités.

Pire : certaines extensions urbaines validées récemment, comme les ZAL (zones d’activités logistiques) ou les zones de villas en front de palmeraie, semblent en contradiction avec les principes de sobriété foncière et de densification prônés par le SDAU. À croire que ce dernier n’a de « directeur » que le nom.

Il faut désormais s’interroger : à quoi bon accumuler les projets, si ceux-ci ne s’accompagnent pas d’une répartition équitable des bénéfices ?

Les nouveaux hôtels cinq étoiles coexistent avec des quartiers informels en stagnation, où les habitants dépendent de puits ou de réseaux d’électricité non conformes.

Les mobilités douces vantées dans les plans officiels n’ont encore produit aucune piste cyclable continue, ni interconnectée sur les axes structurants.

La rénovation des espaces publics reste focalisée sur les sites touristiques (Jemaa El-Fna, Mellah, Gueliz) au détriment des places communautaires périphériques.

Reconnaître ces fractures, ces contradictions et ces dérives n’est pas du tout un acte de sabotage, mais un préalable nécessaire à une gouvernance plus crédible. Marrakech, ville patrimoine de l’humanité que nous aimons, ne peut se réduire à une vitrine pour investisseurs.

Il est temps de redonner à la planification urbaine son rôle fondamental de cohérence territoriale, en réhabilitant d’abord le fameux SDAU 2040 comme outil public de débat, de suivi et de transparence, tout en redéfinissant les priorités budgétaires en faveur de la résilience des services de base (eau, transport, santé) et en restreignant les dérogations urbanistiques qui fragmentent le territoire au profit de logiques foncières privées.

L’enjeu pour Marrakech ne consiste pas seulement à attirer des millions de visiteurs ou de bâtir des zones luxueuses. Il est de reconstruire une ville qui fonctionne pour tous ses habitants. Ce n’est pas la quantité de plans homologués qui fera la ville de demain, mais la capacité à transformer la vision stratégique en résultats visibles, équitables et mesurables.

L’ère de la post-vérité ne peut devenir l’excuse d’un urbanisme sans boussole. Marrakech mérite un récit fondé sur la cohérence, l’honnêteté et la justice spatiale.

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