Le Conseil Régional du Tourisme de Casablanca-Settat opère un virage mesuré mais stratégique. C’est en tout cas l’impression générale recueillie après la conférence de presse donnée par son président Othman Cherif Alami, l’après-midi du jeudi 17 juillet à l’hôtel Kaan Casablanca. Il s’agissait de faire , loin des effets d’annonce, part du plan d’action 2025/2026 du CRTCS qui s’articule autour d’une logique d’ancrage intelligent : valoriser sans dénaturer, cibler sans exclure, transformer sans précariser. En filigrane, c’est tout un modèle de gouvernance touristique régionale qui cherche à se réinventer.
Petite récap. Avec 1,1 million de touristes accueillis et 2,25 millions de nuitées enregistrées en 2024 (+13 %), Casablanca-Settat continue de progresser sur un rythme constant, mais loin de la dynamique effervescente de Marrakech ou Agadir. Elle se classe en 6e place nationale, ce qui semble modeste, mais cache une réalité bien plus complexe : Casablanca n’est pas une destination de masse. Elle se spécialise dans le MICE, le business tourism et les expériences hybrides mêlant affaires, culture et bien-être – un positionnement assumé et, surtout, cohérent avec son tissu économique.

À noter : le taux d’occupation des hôtels classés atteint 59 %, en progression de 8 %, et le RevPAR (revenu par chambre disponible) progresse de 12 %. Ces indicateurs sont révélateurs d’un redressement qualitatif, plus que quantitatif. La destination attire une clientèle à forte valeur ajoutée, moins sensible au volume qu’à l’expérience.
L’analyse des campagnes de communication 2024 menées par le CRTCS montre une orientation digitale claire mais fragmentée : vidéos thématiques, reels gastronomiques, contenus culturels, formats courts, campagnes presse à l’international. Là demeure toute la force prudente du Conseil qui a multiplié les angles pour tester, mesurer, corriger.
Parmi les formats les plus engageants, on note que le Reel Culturel cumule 186 000 impressions et plus de 3 200 engagements, preuve de l’intérêt du public pour la valorisation du patrimoine vivant. En même temps, la vidéo culinaire et le contenu “Live It, Love It” enregistrent des taux de clics significatifs, en particulier sur le marché marocain.
Mais cette diversité de formats cache cependant une harmonisation narrative perfectible. Si la logique A/B testing est pertinente, l’impact global reste dilué. Pour 2025, une meilleure orchestration transversale des campagnes sera décisive : il s’agit moins de multiplier les points de contact que de construire une ligne éditoriale forte, associant Casablanca à un imaginaire cohérent, au-delà de la logique événementielle.
L’un des projets les plus structurels du CRTCS en 2024 reste la digitalisation des POIs (points d’intérêt) ruraux. Ce ne sont pas moins de 207 sites qui ont été identifiés, accompagnés et dotés de pages web individualisées.
Ce chantier, souvent négligé dans les politiques touristiques urbaines, constitue une avancée majeure qui permet d’intégrer les communes rurales dans une logique de visibilité et de circulation des flux, de ésengorger l’offre urbaine tout en enrichissant l’expérience globale du visiteur et de aloriser les savoir-faire et initiatives locales via des narrations décentralisées.
C’est une stratégie rare au Maroc à cette échelle : faire du numérique un levier d’inclusion territoriale, en s’appuyant sur les dynamiques endogènes et non sur des modèles plaqués.
Le CRTCS a également redoublé d’efforts sur le plan événementiel et institutionnel : organisation du Casablanca MICE Meeting, du Forum Africain du Tourisme, participation active à des salons majeurs (FITUR, ITB Berlin, WTM Londres).
Ces événements ont le mérite de réaffirmer Casablanca comme plateforme business africaine, d’ancrer la destination dans une dynamique B2B durable, moins volatile que le tourisme de loisir classique, tout en permettant un maillage stratégique avec les marchés cibles : Espagne, Italie, Allemagne, Inde, tous concernés par des workshops et eductours très bien exécutés.
Mais là encore, comme le répète le Président Alami, la transformation de l’essai dépendra de la capacité à relier ces événements à une stratégie de conversion plus fluide : du contact professionnel à l’offre commerciale concrète, un travail de fond reste à mener.
Mais malgré ces progrès visibles, plusieurs faiblesses structurelles persistent comme soulevé:
-L’image de Casablanca reste floue à l’international : trop souvent perçue comme un hub logistique ou un simple point de passage.
-L’offre de produits packagés reste dispersée, sans articulation forte entre culture, patrimoine, gastronomie, balnéaire et tourisme rural.
-Enfin, l’absence d’une charte de destination visuelle et narrative affaiblit la mémorisation et l’adhésion du public cible.
La cohérence marque-territoire n’est pas encore optimale. Le CRTCS gagnerait à s’inspirer de modèles comme Lisbonne ou Bilbao, qui ont su réinventer leur image urbaine en valorisant leur identité propre, loin des clichés.
Grosso modo, le plan d’action 2025/2026 du CRTCS démontre une vision claire : celle d’un tourisme raisonné, ancré, intelligent. La digitalisation des campagnes, l’inclusion du rural, la structuration des circuits MICE et la relance de l’international B2B sont autant de leviers lucides.
Cependant, le storytelling de la destination reste à solidifier, pour que Casablanca ne soit pas qu’un “entre-deux” entre Marrakech et Paris, mais une ville-monde assumée, avec son tempo, son souffle, ses récits.
La véritable mutation du tourisme casablancais ne se fera pas par les chiffres, mais par la capacité à incarner une vision culturelle forte, singulière et résonnante. Et cela exige, plus que jamais, de passer du marketing à la signification.




