Mais où est donc passée notre souveraineté touristique?

On assiste impuissants à ce jeu équilibriste des acteurs et des figurants qui n’en finit pas…

Le Maroc mise sur l’expertise étrangère pour relancer son tourisme. Quels enjeux cela comporte t’il , quels en seront les arbitrages et, surtout , les nouvelles orientations adaptées que le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement y déploiera?

Avec l’annonce officielle de la sélection de 14 sociétés de gestion agréées dans le cadre de sa stratégie de déploiement sectoriel, le FM6I passe à la vitesse supérieure dans l’opérationnalisation de ses objectifs qui consistent à renforcer les capitaux propres des entreprises marocaines et stimuler des investissements à fort effet d’entraînement. Le tourisme, pilier stratégique de l’économie nationale, bénéficie d’une attention particulière à travers le lancement de deux fonds dédiés, intégrés dans une enveloppe globale de 19 milliards de dirhams, dont 4,5 milliards apportés directement par le FM6I.

Le programme Cap Hospitality, pierre angulaire de cette relance, prévoit la rénovation de 25 000 chambres d’ici 2026, pour un montant de 4 milliards de dirhams. Mais cette stratégie ambitieuse, construite autour d’un mécanisme de co-investissement structuré, mérite une lecture plus nuancée lorsque l’on considère la place véritable accordée aux entreprises marocaines dans cette dynamique.

Toutefois, l’expertise internationale est-elle entendue comme levier… ou comme un filtre ?

Parmi les sociétés de gestion sélectionnées pour les fonds touristiques, deux fonds étrangers se détachent : Kasada Capital Management, bras financier panafricain du groupe Accor, soutenu par la Qatar Investment Authority, et Westmont Hospitality, un acteur sud-africain de premier plan dans le développement hôtelier. Evidemment, ces entités auront pour rôle de piloter les investissements, d’identifier les opportunités et de structurer les montages financiers autour de projets ciblés. Ok!

Mais si l’apport en savoir-faire, en rigueur méthodologique et en réseaux internationaux est incontestable, une question de fond se pose : ces fonds sont-ils réellement conçus pour répondre aux besoins du capital marocain ? Autrement dit, les PME et groupes marocains du secteur touristique seront-ils des bénéficiaires réels de ces dispositifs ou de simples figurants dans une logique d’investissement largement pilotée depuis l’extérieur ?

Les modalités de financement annoncées -tickets de 3 à 100 millions de dirhams, prêts sur 12 ans, différé de 2 ans, intérêt remboursé par l’État- sont en apparence attractives. Pourtant, l’accès effectif à ces ressources pour les entreprises marocaines, notamment les PME, demeure incertain. La logique d’appel à projets, les standards attendus en matière de rentabilité et de gouvernance et les exigences souvent implicites en matière de structuration juridique et financière, ne peuvent-ils pas constituer des barrières substantielles à l’entrée pour de nombreux opérateurs nationaux?

En parallèle, la volonté stratégique d’encourager la création de nouvelles unités d’hébergement est clairement affirmée, et nous nous en félicitons bien sûr. Mais dans les faits, les entreprises touristiques marocaines ont-elles réellement les capacités, techniques et financières pour saisir ces opportunités ? Ou risquent-elles d’être éclipsées par des consortiums internationaux mieux armés et à l’appétit pantagruélique pour répondre aux critères exigés par les gestionnaires de fonds ? Très peu probable !

Il s’agirait plutôt là d’une posture ambiguë des fonds sélectionnés.

Une autre zone de tension émerge : le rôle ambivalent des deux fonds étrangers eux-mêmes. Présentés comme des outils au service du développement de l’écosystème marocain, ils sont aussi, fondamentalement, des investisseurs privés à visée lucrative. Rien ne garantit qu’ils privilégieront les entreprises locales dans leurs opérations. Au contraire, leur capacité à mobiliser d’autres investisseurs étrangers, leur accès privilégié à des chaînes hôtelières mondiales et leur expérience en développement intégré pourraient les inciter à déployer leurs propres projets, sur des fonciers stratégiques, en mobilisant peu ou pas des acteurs marocains dans la boucle opérationnelle.

Ainsi, la frontière entre soutien au tissu national et développement exogène s’estompe dangereusement. À terme, le risque est réel de voir ces fonds se détourner des dynamiques locales pour privilégier des schémas d’investissement intégrés, rentables mais faiblement inclusifs, surtout si les mécanismes de gouvernance ne prévoient pas des garde-fous clairs en matière de retombées locales.

Pardi, où st passé le « Made in Morocco » dans tout cela ?

Avouons-le, le silence obtus autour de la non-sélection de banques d’affaires marocaines ou de grands groupes nationaux interroge. Pourtant, certains acteurs nationaux disposent d’une solide expérience en ingénierie financière, en partenariat public-privé, voire en gestion d’actifs touristiques. Le choix de leur exclusion, au profit d’acteurs étrangers, ne manque pas de susciter des doutes sur la volonté réelle de bâtir une souveraineté touristique nationale.

Alors que le Maroc affiche une ambition claire de réindustrialisation, de préférence nationale et de montée en gamme de ses compétences, ce tournant du FM6I semble aller à contre-courant. Il laisse penser que le “Made in Morocco” n’a pas été jugé suffisamment crédible ou compétitif, alors même que le fonds est censé renforcer le tissu national. Ce paradoxe fragilise l’objectif stratégique initial : celui d’un développement économique endogène, piloté par des Marocains pour des Marocains.

Il est incontestable que le FM6I cherche à insuffler un boom d’investissement structurant dans le tourisme marocain. L’intention est claire, les moyens sont conséquents, mais le choix des instruments interroge. À trop vouloir sécuriser la réussite immédiate à travers des partenaires internationaux aguerris, le Maroc risque de marginaliser ses propres forces vives du secteur et de créer un modèle dual : un tourisme de vitrine piloté par l’étranger et une industrie touristique nationale cantonnée à des activités périphériques.

Mais que faire alors ? C’est simple. Pour que ce dispositif soit réellement transformateur, il faudra impérativement veiller à une gouvernance inclusive, à des critères d’accessibilité adaptés aux réalités marocaines et à une évaluation transparente des retombées locales. Faute de quoi, cette relance pourrait bien se transformer en dépendance programmée. Il ne faut pas se voiler la face, le maroco-marocain n’a en aucun atteint ses limites, qu’on l’admette ou pas…

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