Tanger s’apprête à accueillir un nouveau arrivé dans le paysage hôtelier tangérois: The Bristol Hotels & Resorts Tangier, réalisé par le géant immobilier émirati Eagle Hills, basé à Abu Dhabi. Ce projet, annoncé pour 2027, soulève autant d’enthousiasme que d’interrogations. Faut-il y voir un complexe de développement urbain durable, une vitrine d’hospitalité raffinée ancrée dans le local, ou un marqueur de l’uniformisation hôtelière haut de gamme dans une destination portuaires en mutation rapide ?
Le choix de Tanja Waterfront, zone de front de mer, est justement le fer de lance de la nouvelle image de Tanger, en tant que ville moderne, mieux notée pour son attractivité touristique et économiquement ouverte sur l’Europe, avec à peine 14 kilomètres marins. Il faut reconnaître que la destination est un territoire en pleine métamorphose, à l’instar des docklands de Londres ou du front de mer de Beyrouth avant la crise.
Le projet The Bristol Tangier s’inscrit par ailleurs dans une stratégie globale d’Eagle Hills : installer ses marques dans des marchés émergents à fort potentiel, sans pour autant viser les grandes capitales saturées. A travers cela, l’entreprise joue habilement sur les frontières géographiques, culturelles et économiques.

Selon un communiqué publié à cet effet, l’hôtel entend conjuguer héritage architectural marocain et design contemporain : zelliges, pergolas à brise-soleils géométriques, cour arabo-mauresque avec fontaine centrale… Des choix esthétiques séduisants, mais qu’il faudra évaluer à l’aune de leur authenticité réelle plutôt que comme simples ornements décoratifs. La nuance entre inspiration et appropriation est mince, surtout dans les projets conçus par des promoteurs étrangers sur des terrains fortement chargés symboliquement.
Il convient aussi de rappeler que ce type d’approche, bien qu’artistiquement prometteuse, court souvent le risque du pastiche, notamment lorsque les artisans locaux sont écartés au profit d’un design standardisé se voulant “local”.
Le projet table sur une expérience multisensorielle : spa, salle de sport high-tech, piscine sur rooftop avec vue sur la baie, gastronomie locale réinterprétée à la Cour de l’Orangerie, espaces business premium. Un modèle très en vogue, proche de ceux déployés à Doha, Dubaï ou Amman.
Mais cette approche soulève une question fondamentale : À qui s’adresse ce luxe ? Avec 218 chambres et suites haut de gamme, un centre de congrès pouvant accueillir jusqu’à 1 500 personnes et une offre gastronomique sophistiquée, The Bristol Tangier semble destiné à une clientèle internationale aisée -diplomates, investisseurs, grandes entreprises et touristes haut de gamme- plutôt qu’à un marché local ou même régional.
Le projet annonce soutenir le dynamisme économique de Tanger, notamment via l’emploi et le développement des infrastructures. SOGEA MAROC, entreprise réputée, est chargée de la réalisation, ce qui peut rassurer quant à la qualité technique. Mais ce type de projet pose souvent des questions structurelles : Quel est le pourcentage d’emplois locaux pérennes créés ? Quelles retombées fiscales et sociales concrètes pour les Tangérois ? Quel effet sur la spéculation immobilière dans les quartiers adjacents ?, etc.
The Bristol Hotels & Resorts Tangier est indéniablement une opération de prestige. Il ambitionne de conforter Tanger sur la carte mondiale des destinations premium, en empruntant à la fois les codes du luxe international et les éléments du patrimoine marocain.
Mais cette ambition devra se confronter à deux impératifs essentiels : Rester fidèle à l’âme tangéroise, faite de contrastes, de poésie, de brassages culturels et ne pas reproduire les erreurs des grands projets “hors-sol” qui, sous prétexte de rayonnement international, ont souvent négligé les populations locales et généré des effets pervers durables.




