Au moment où le Maroc croit ferme en le doublement de ses capacités hôtelières d’ici 2030, nécessaires pour contenir tant mieux que se peut les 26 millions de touristes qu’il espère accueillir, les opérateurs du secteur font toujours face à une pression fiscale contraignante qu’ils jugent de plus en plus insoutenable.
Plongée dans l’architecture des taxes appliquées à l’hôtellerie révèle un déséquilibre structurel énorme entre charge fiscale, saisonnalité de l’activité et rentabilité réelle.
La fiscalité hôtelière, répartie en trois grandes catégories, démontre à quel point l’État attend du secteur qu’il finance à la fois le budget local, la redistribution nationale et les équipements urbains, parfois au mépris de la réalité économique des établissements.
Commençons par ce qui ne pose pas problème, du moins en apparence : les taxes indexées sur le chiffre d’affaires (CA). Leur logique repose sur le principe du “gagnant-contributeur” : on ne paie que si l’on encaisse. On y retrouve :
-TVA (10%), appelée à augmenter dans le cadre de l’harmonisation fiscale annoncée pour 2026 ;
-Impôt sur les sociétés (IS) ;
-TCS (Taxe de séjour) ;
-TPT (Taxe sur les produits touristiques) ;
-Taxe de débit de boissons ;
-Taxe sur les spectacles ;
-Taxe sur les encaissements en espèces (0,25%).
Mais même ces prélèvements “proportionnels” peuvent devenir déséquilibrés si les taux sont fixés sans considération de marge nette réelle, notamment dans les zones à haute saisonnalité (Tanger, Agadir, Saidia, Chefchaouen). Un hôtel peut encaisser beaucoup… sans générer un bénéfice proportionnel, particulièrement en cas de charges structurelles élevées ou de dépendance au crédit bancaire.
Bref, une fiscalité proportionnelle au chiffre d’affaires rationnelle, mais sous surveillance.
Pour ce qui est des taxes fixes et indexées sur l’investissement, c’est la faille fiscale majeure. C’est ici que le bât blesse. Une série de taxes fixes et obligatoires est exigée même en l’absence de chiffre d’affaires et souvent indexée sur la valeur locative, elle-même déduite de l’investissement initial. Un hôtel fermé temporairement -que ce soit pour rénovation, basse saison ou force majeure- reste fiscalement redevable. Cette rigidité est dangereuse.
Parmi ces taxes, citons :
- Cotisation minimale, calculée sur le CA de N-1 -incohérente pour les nouveaux hôtels ou ceux en difficulté ;
- Taxe professionnelle ;
- Taxe d’habitation alors que l’hôtel n’est pas un domicile ;
- Taxe des services communaux (ex-édilité)
- Taxe de voirie (terrasses exploitées) ;
- Taxes de licence (débouchés boissons) ;
- Taxes sur les enseignes et totems publicitaires ;
- Taxes sur les bâches d’ombrage en façade ;
9.Taxe sur les pourboires, officiellement supprimée pour la CNSS mais toujours utilisée lors de contrôles ;
- Taxe audiovisuelle, perçue même en l’absence de téléviseurs.
Le problème fondamental est l’absence de flexibilité : ces taxes sont dues que l’hôtel soit ouvert ou non. En France, en Espagne ou en Grèce, certaines de ces taxes sont suspendues ou proratisées selon les périodes d’activité, une pratique absente au Maroc.
Au-delà de l’impôt, les hôteliers supportent une série de charges sociales, assurances et frais réglementaires qui, bien qu’essentiels, grèvent lourdement la rentabilité nette :
- IR sur les salaires ;
- Accident du travail (AT) ;
- CNSS et AMO ;
- Assurance multirisque habitation ;
- Assurance responsabilité civile ;
- Vignette automobile, y compris sur véhicules de service ;
- Taxation des véhicules > 300 000 DH intégrés dans le résultat fiscal, ce qui pénalise les services de navette et transferts VIP ;
- Redevance annuelle pour les postes électriques industriels.
Sans oublier un facteur rarement discuté : le coût du crédit. Alors que la moyenne des taux d’intérêt au Maroc frôle les 5,5 % pour les PME, elle oscille entre 1,5 % et 2,5 % dans le bassin méditerranéen (notamment en Croatie, Portugal ou Grèce). Le financement d’un hôtel y est donc jusqu’à 3 fois moins coûteux.
Les charges sociales et parafiscales deviennent alors un poids silencieux mais lourd.
Les recommandations généralement émises par les professionnels convergent majoritairement pour une refonte ciblée nécessaire:
- Proportionnaliser les taxes fixes selon l’ouverture effective de l’établissement (modèle prorata temporis) ;
- Supprimer les taxes obsolètes ou incohérentes (ex. taxe audiovisuelle dans les hôtels sans téléviseur, taxe sur les pourboires);
- Créer un mécanisme de modulation des cotisations selon la saisonnalité réelle des zones touristiques ;
- Réduire le taux de crédit pour les projets hôteliers classés à intérêt national, via subventions d’intérêt ou garanties d’État ;
- Encourager la digitalisation fiscale pour éviter les redondances déclaratives et les contrôles abusifs.
Il faut savoir qu’un hôtel est d’abord une entreprise vivante, fragile, fortement capitalistique et sensible à l’environnement macroéconomique. En 2025, la fiscalité actuelle n’est pas calibrée pour accompagner cette dynamique : elle reste excessivement rigide, cumulativement lourde et peu lisible.
Il est temps que le dialogue État-secteur privé passe du slogan à la refonte concrète et équitable. Car sans un environnement fiscal intelligent et réaliste, la promesse du Maroc touristique risque de rester une carte postale figée aussi belle qu’inaccessible.




