L’ambition maritime marocaine est-elle en décalage?

Signe paradoxal de vitalité apparente, la saison estivale 2025 marquée par une ambition maritime sans précédent, à savoir 7,5 millions de passagers, 2 millions de véhicules, 13 liaisons internationales et 29 navires mobilisés, est sans doute idéal. Pourtant, malgré cette force de frappe, la fréquentation n’a pas suivi. Pourquoi cette distorsion entre capacités théoriques et flux réels ?

L’été 2025 devait consacrer une montée en puissance du trafic maritime. L’armature portuaire s’est renforcée. En effet, Tanger Med, Nador, Al Hoceima, et Tanger-Ville ont été dimensionnés pour absorber 7 800 traversées. Les ports andalous (Algésiras, Motril, Tarifa) ont eux aussi mis les bouchées doubles.

Or, du 5 juin au 25 juillet, les chiffres restent timides, en-deçà des projections du ministère de l’Équipement et du Transport. Plusieurs navires circulent à 65–70 % de leur capacité. Le pic attendu fin juillet/début août reste discutable. En 2024, 2,8 millions de passagers avaient été enregistrés (dont 70 % de MRE) sur la même période. En 2025, la croissance semble s’essouffler. Le paradoxe : +4 % de dessertes, mais stagnation de la demande effective.

Ce décalage s’explique notamment par une anticipation de retour (certains MRE préfèrent rentrer dès mai/juin pour éviter les coûts de haute saison) et un phénomène plus structurel : l’évitement logistique.

Le ferry, pourtant promu comme solution de proximité, devient un produit de luxe. Entre Tanger Med et Algésiras, le pack typique (1 voiture + 2 adultes + 2 enfants) frôle les 5 100 MAD A/R, soit plus de 460 €. Une version moins chère via Ceuta tourne autour de 4 300 MAD, encore largement au-dessus de la moyenne budgétaire des familles nombreuses.

Côté aérien, Royal Air Maroc a bien augmenté son offre de 12 % avec 6,6 millions de sièges. Mais l’essentiel du trafic est capté par les compagnies low-cost (Transavia, Ryanair, Vueling) qui, elles aussi, ont fait flamber leurs tarifs : 400 à 600 € A/R en moyenne pour Paris–Casablanca en haute saison, parfois plus pour Fez, Oujda ou Nador.

La mobilité estivale s’alourdit donc. À ces niveaux de prix, une famille de 4 personnes peut dépenser entre 14 000 et 18 000 MAD uniquement pour le trajet.

Indicateur méconnu mais révélateur : les transferts financiers des MRE ont chuté de -6,2 % entre mars 2024 et mars 2025 (passant de 27,96 Mrd à 26,22 Mrd MAD). Cette baisse, structurelle, s’explique par deux dynamiques convergentes : Moins de voyages estivaux coûteux, donc moins de dépenses locales et redéploiement budgétaire vers l’épargne ou des projets productifs : acquisition immobilière différée, investissement en bourse, en immobilier locatif européen ou dans des projets entrepreneuriaux hors Maroc.

Cette redirection des flux traduit une désensibilisation au tourisme saisonnier marocain, perçu comme de plus en plus désavantageux par comparaison à des destinations européennes plus efficientes.

Les familles MRE, autrefois habituées à des formalités relativement fluides, se heurtent depuis 2025 à une refonte des contrôles douaniers, à travers le renforcement du contrôle des documents de séjour, certificats de propriété du véhicule, et présence obligatoire du propriétaire pour l’importation temporaire, la surveillance accrue à la descente du ferry : vérification électronique croisée des plaques, du permis et des données biométriques et l’allongement du temps de passage aux douanes : jusqu’à 4 heures d’attente à Tanger Med ou Beni Ensar en période de flux tendu.

Il faut reconnaître que le stress, l’incertitude, et l’impression d’être suspecté à l’entrée de son propre pays créent une dissonance émotionnelle forte, soulignée par de nombreux témoignages sur les forums MRE et réseaux sociaux.

A croire que le MRE de 2025 n’est plus celui de 2015. Moins attaché au seul « retour au bled », plus désireux d’explorer, de se reposer, ou de découvrir d’autres cultures avec ses enfants, il recherche du sens, du confort et de la simplicité.

Donc, moins de retour systématique : certaines familles reviennent désormais une année sur deux, réorientation vers d’autres destinations : la Turquie, les Baléares, ou la Croatie offrent des séjours “tout compris” à 1 100 €/2 semaines, sans formalités complexes ni inflation de prix et recherche de tranquillité et d’authenticité : les destinations marocaines saturées comme Tanger ou Marrakech sont perçues chères, bruyantes, voire « accaparées » par le tourisme de masse. À l’inverse, les zones rurales, le Souss, ou les séjours chez l’habitant gagnent en attractivité.

Bon gré mal gré, le Maroc ne souffre pas pour autant d’un manque d’intérêt de sa diaspora, mais d’un décalage logistique, économique et émotionnel entre l’offre actuelle et les nouvelles attentes.

Le retour au Maroc ne doit plus être une charge logistique mais une expérience sereine. Sans réajustement rapide, le pays risque de perdre l’élan affectif et économique de sa diaspora au profit d’alternatives plus simples, plus abordables et mieux pensées.

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