Le cocktail doux-amer d’erreurs structurelles derrière le capotage du Plan Azur

Un peu d’histoire pour rafraîchir les mémoires…

Lancé au tournant des années 2000 comme la clé de voûte de la « Vision 2010/2020 » destinée à hisser le littoral marocain au rang de destination internationale, le Plan Azur reste dans les rapports officiels comme un exercice coûteux de promesses non tenues. Entre ambitions chiffrées, relais publics affaiblis, modèles financiers inadaptés et risques environnementaux sous-estimés, l’histoire d’Azur démontre les limites d’un développement touristique « par projet », imaginé de manière fragmentée et mal séquencée.

Ce qui suit déroule, site par site et chiffre par chiffre, les causes de cet échec et met en évidence ce qui aurait dû être fait pour en tirer de véritables leçons.

Certes, les ambitions étaient chiffrées mais avec, sur le terrain, une réalisation marginale…

En 2001, le Plan Azur était présenté tel une nouvelle stratégie touristique salutaire. Il devait doter le Maroc de six stations balnéaires nouvelles (Saidia, Lixus, Mazagan, Mogador/Essaouira, Taghazout, Plage Blanche), créer des dizaines de milliers de lits hôteliers et multiplier les équipements structurants (golfs, marinas, animations) afin d’ancrer le pays sur les grands flux internationaux.

Mais la réalité a vite divergé. Les audits successifs ont relevé des taux d’exécution très bas et un stock final de lits très éloigné des objectifs. Autrement dit, la colonne vertébrale de la Vision 2010 a reposé sur un squelette incomplet, où les chiffres promis sont restés largement théoriques.

Même le modèle financier adopté s’est retrouvé miné par ses propres logiques. Comment ? Le montage retenu reposait presque exclusivement sur la cession de foncier et la revente de résidences de loisirs. L’hypothèse : les marges dégagées par la commercialisation des lots immobiliers financeraient les infrastructures touristiques lourdes (hôtels, golfs, animation).

Dans les faits, deux effets pervers ont rapidement grippé la mécanique : la priorité est donnée aux opérations résidentielles, plus rapides à vendre, au détriment des hôtels opérationnels et lo pression exercée pour densifier et réduire la qualité afin de maximiser les ventes. Résultat : certaines stations se réduisent à des lotissements inachevés, dénués d’équipements structurants. Exemple parlant : Saïdia, inaugurée en 2009, où l’on trouve surtout des unités résidentielles et seulement, jadis, trois hôtels (3 170 lits), bien en-deçà des prévisions.

Quant à la SMIT, chargée pourtant de concevoir et suivre le Plan, elle n’a ni produit d’études de faisabilité robustes ni assuré un pilotage exigeant. Les contrôles étaient lacunaires, les délais administratifs longs et les concessions foncières octroyées à des prix très bas, sans contreparties contractuelles fortes.

Taghazout en donne un exemple frappant. La concession y a été attribuée dans des conditions foncières extrêmement avantageuses, représentant 1,3 milliard de dirhams de manque à gagner pour l’État, sans garde-fous efficaces pour garantir une exécution complète.

La crise financière internationale de 2008 est venue amplifier ces vulnérabilités. Les investisseurs étrangers, dont la solidité dépendait souvent des ventes résidentielles, ont vu leur solvabilité se réduire. Plusieurs se sont retirés, laissant les projets inachevés.

À Lixus, des promoteurs belges et hollandais ont quitté le navire après 2008, ramenant les ambitions initiales à une réalisation très partielle. Le Plan Azur a ainsi révélé sa dépendance excessive à des capitaux exogènes et volatils.

Certains sites furent retenus davantage pour des considérations foncières ou symboliques que pour leur pertinence touristique. Résultats : accessibilité difficile, inadéquation avec la demande réelle (tourisme de proximité, surf, courts séjours européens) et phasage inversé où le résidentiel précédait l’hôtellerie.

Taghazout, conçue comme une grande station golfique, traduit clairement cette erreur. Au lieu de capitaliser d’abord sur l’écosystème surf déjà reconnu, on a privilégié un modèle lourd, déconnecté de la demande et des ressources locales.

Zones humides fragiles (Saidia/Moulouya), littoraux soumis à l’érosion (Plage Blanche, Taghazout) et pression croissante sur la ressource en eau ont été sous-estimés. L’artificialisation des sols et l’extraction illégale de sable ont aggravé les déséquilibres.

Ces faiblesses ont généré des coûts croissants pour protéger les infrastructures, diminué l’attrait pour les investisseurs de long terme et transféré la charge financière sur les finances publiques.

Par ailleurs, l’intégration territoriale est restée faible. La focalisation sur l’immobilier spéculatif n’a pas généré d’emplois touristiques stables ni favorisé une formation professionnelle locale. En conséquence, les retombées sociales sont restées limitées et l’adhésion des populations locales fragile.

L’échec du Plan Azur résulte donc d’un enchaînement : modèle foncier court-termiste, gouvernance défaillante, retrait d’investisseurs après 2008, erreurs de localisation, risques environnementaux ignorés et retombées sociales faibles.

Ce qui a manqué, c’est une logique « opérateur durable » pour prioriser la mise en service d’hôtels et de services, assortis de garanties contractuelles strictes, développer des modèles plus résilients et mieux ancrés dans les ressources locales, capitaliser sur des niches existantes (surf, écotourisme, courts séjours) et surtout, arrimer chaque station à l’économie régionale pour générer des bénéfices partagés et soutenables. Ceci, quand d’autres ont réussi.

Il est utile de rappeler, en effet, que d’autres pays méditerranéens ont connu des trajectoires plus positives en misant sur des choix stratégiques différents.

La Turquie, dans les années 1990-2000, a structuré son offre balnéaire autour d’opérateurs intégrés et de grands groupes hôteliers internationaux, garantissant une mise en service rapide d’unités hôtelières de qualité avant tout volet résidentiel.

La Tunisie a privilégié l’accessibilité et la proximité de ses stations avec les grands bassins émetteurs (notamment européens), en évitant de disperser les investissements sur des sites isolés.

L’Espagne, malgré ses excès urbanistiques, a réussi à arrimer ses stations à des infrastructures de transport robustes et à diversifier son offre (balnéaire, culturelle, urbaine), ce qui a soutenu la fréquentation à long terme.

Ces comparaisons montrent que l’échec du Plan Azur n’était pas inévitable. Il découle moins de l’ambition elle-même que des choix de gouvernance, de financement et de localisation.

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