20 mars 2025

Bilan touristique 2024: Entre rebond et défis structurels

L’Observatoire du Tourisme vient de publier les statistiques touristiques pour l’année 2024, relevant une dynamique de croissance soutenue, mais révélant également des enjeux persistants qui appellent à une réflexion stratégique approfondie. 

Avec 16,3 millions de touristes accueillis et des recettes de 117 milliards de dirhams, le secteur touristique marocain affiche une performance notable, marquée par une augmentation de 14 % du nombre de visiteurs et de 24 % des revenus par rapport à 2023. Ces chiffres, compilés par l’ONMT) et l’Observatoire du Tourisme, méritent une analyse nuancée, entre succès économiques et questionnements sur la durabilité et l’inclusivité du modèle touristique national.

Certes , la reprise post-pandémique du tourisme marocain s’inscrit dans un contexte international marqué par une demande accrue pour les destinations « sûres » et diversifiées. En plus, le Maroc a capitalisé sur son positionnement comme carrefour culturel et géographique, combinant tourisme balnéaire, culturel (avec 12 sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO), et écotourisme. Les marchés émetteurs traditionnels (France, Espagne, Allemagne) ont contribué à 62 % des arrivées, tandis que les marchés émergents (États-Unis, Chine, pays du Golfe) ont progressé de 18 %,  reflétant une diversification encourageante.  

Les recettes touristiques, en hausse de 24 %, dépassent les prévisions initiales (105 milliards de dirhams), grâce à une augmentation de la durée moyenne des séjours (passée de 6,5 à 7,2 jours) et à une hausse des dépenses quotidiennes (1 450 dirhams contre 1 320 en 2023). Cette performance s’explique par plusieurs facteurs :  

1. Stratégie « Vision 2020-2026 » : Renforcement des infrastructures (nouvel aéroport de Marrakech, extension du réseau ferroviaire), et campagnes de promotion ciblées (« Maroc, Terre de Lumière »).  

2. Événements internationaux : Organisation du Forum Annuel de l’OMT à Marrakech et candidature conjointe à la Coupe du Monde de la FIFA 2030 avec l’Espagne et le Portugal.  

3. Digitalisation accélérée : Plateforme « Visit Morocco 2.0 » et partenariats avec des géants comme *Booking.com* et *Airbnb* pour élargir la visibilité.  

Toutefois, cette croissance masque des disparités régionales et sectorielles. Si Marrakech, Agadir et Casablanca concentrent 68 % des nuitées, des régions comme l’Oriental ou le Rif restent marginalisées, avec des taux d’occupation hôtelière inférieurs à 35 % et, dans une moindre mesure, Draa-Tafilalet qui échappe encore aux radars de l’OT.

Si les statistiques globales de l’Observatoire du Tourisme sont confortantes, une analyse granulaire révèle des limites. L’augmentation des recettes (+24 %) est en partie artificielle, liée à l’inflation mondiale (estimée à 8 % en 2024) et à la dépréciation du dirham face au dollar (-5 % sur l’année). Corrigée de ces effets, la croissance réelle des revenus se situerait autour de 16 %, restant positive, mais moins spectaculaire.  

Par ailleurs, le tourisme de luxe (20 % des recettes) et le tourisme de masse (55 %) accentuent une dualité socio-économique. Les retombées pour les populations locales, notamment dans les zones rurales, restent limitées : seuls 12 % des emplois touristiques sont qualifiés, et les revenus informels (guides non déclarés, artisanat) échappent aux statistiques officielles.  

La dépendance excessive à l’Europe (75 % des arrivées) expose le Maroc aux aléas économiques et politiques du Vieux Continent. La récession technique en Allemagne (-0,3 % de PIB en 2024) et les restrictions budgétaires françaises ont déjà entraîné une baisse de 7 % des réservions estivales en provenance de ces pays. À l’inverse, le marché américain (+22 %) et chinois (+19 %) progressent, mais partent de bases faibles (respectivement 4 % et 2 % des parts de marché).  

Sans doute, le Maroc a été salué pour ses initiatives « vertes » (hôtels Eco-certifiés, projet « Villes Vertes »), mais le bilan 2024 interroge. L’empreinte carbone du secteur touristique a augmenté de 9 %,  en raison du trafic aérien (+18 % de vols internationaux) et de la surconsommation d’eau dans les zones arides (ex. : Marrakech, où la nappe phréatique a baissé de 3 mètres). La stratégie de « tourisme durable » reste incantatoire sans cadre réglementaire strict.  

Pour consolider sa position de leader africain (classé 1ᵉʳ en Afrique par le Travel & Tourism Competitiveness Index 2023), le Maroc doit répondre à plusieurs défis en diversifiant son offre géographique et thématique, comme par exemple le développement du tourisme médical (potentialité estimée à 5 milliards de dirhams/an) et renforcer l’écotourisme dans le Sud via des partenariats public-privé.  Il s’agirait aussi d’intégrer les communautés rurales via des coopératives touristiques et des formations accréditées (ex. : label « Made in Morocco » pour l’artisanat).  Les professionnels recommandent également d’accéder la transition écologique, en imposant des quotas d’émissions CO₂ pour les hôtels et promouvoir un tourisme hors saison pour réduire la pression sur les ressources.  

Généralement, les statistiques 2024 confirment la résilience du tourisme marocain, moteur clé de l’économie (12 % du PIB, 1,5 million d’emplois). Toutefois, les défis structurels – dépendance régionale, informalité, pression environnementale – exigent une refonte profonde. Le Maroc a les atouts pour devenir un laboratoire du tourisme durable et inclusif, à condition de dépasser une logique purement quantitative au profit d’une valeur partagée. Comme le souligne un rapport de la Banque Mondiale (2024), « la durabilité n’est pas un coût, mais un investissement dans la résilience future». 

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