Les visites-mystère? Parlons-en!

La Société Marocaine d’Ingénierie Touristique a lancé quatre appels d’offres internationaux pour la réalisation de visites mystères dans les établissements d’hébergement touristiques classés du pays. Cette démarche, prévue dans le cadre de l’application de la loi 80-14 sur la refonte du système de classification hôtelière est, certes, une ambition d’excellence amis c’est aussi un test grandeur nature de la maturité opérationnelle du secteur.

Les « visites mystères » ne sont pas une nouveauté conceptuelle à l’échelle internationale. Des destinations comme Dubaï, Singapour, ou les Maldives ont depuis longtemps intégré ce mécanisme d’évaluation invisible dans leur politique de régulation de la qualité. En revanche, c’est une première au Maroc, et c’est la première fois qu’une telle initiative est inscrite dans un dispositif légal, avec des objectifs de performance publique clairement affichés.

Les quatre appels d’offres couvrent l’ensemble de l’écosystème hôtelier, du 5 étoiles jusqu’aux riads, kasbahs et résidences de tourisme. Cela inclut notamment des zones sensibles comme la région de Marrakech-Safi, souvent sous le feu des critiques pour le décalage entre promesse touristique et expérience client réelle.

L’objectif affiché par la SMIT est clair : évaluer objectivement la qualité de service dans les établissements touristiques. Mais cette décision intervient dans un contexte plus tendu qu’il n’y paraît. En 2024, plusieurs enquêtes indépendantes et remontées de terrain avaient mis en lumière un effondrement progressif des mécanismes de régulation interne, marqué par la disparition des audits terrains menés par les délégations régionales du tourisme, l’inactivité des commissions mixtes de contrôle qualité, le retrait des associations professionnelles de leur rôle de vigie (plus de 80 % présidées par des profils retraités, sans mandat exécutif réel), en plus d’une montée inquiétante des groupes hôteliers étrangers opérant sans véritables contre-pouvoirs nationaux.

Dans ce vide institutionnel, la visite mystère devient le seul outil discret mais puissant de diagnostic qualité : un audit terrain sans mise en garde préalable, permettant de mesurer avec précision le décalage entre les standards affichés et l’expérience réelle des voyageurs.

Derrière la modernité apparente de cette initiative, plusieurs questions critiques demeurent : Qui pilotera l’interprétation des résultats ? La loi 80-14 pose peu de balises sur l’usage institutionnel des rapports issus de ces visites.  Quelle indépendance pour les prestataires sélectionnés ? Les appels d’offres sont internationaux, mais les critères de sélection restent flous quant aux méthodologies exigées, aux profils des enquêteurs, et aux mécanismes de contrôle qualité des rapports produits. Les résultats seront-ils publics ? L’absence d’obligation de publication ou de synthèse publique soulève le risque d’un audit interne sans conséquences visibles, réduisant son impact incitatif sur les opérateurs.

Ces visites mystères seront un miroir impitoyable tendu à l’ensemble de l’écosystème touristique : direction d’établissements, personnels en front-office, services de nettoyage, restauration, animation… tous seront concernés par ces évaluations en conditions réelles.

Pour les établissements classés, cela signifie la fin de l’impunité passive : chaque déficit en matière de propreté, de réactivité, d’accueil ou d’accessibilité pourrait désormais avoir des répercussions sur leur classement, leur réputation institutionnelle, voire leur accès aux aides publiques ou campagnes promotionnelles pilotées par l’ONMT.

Mais c’est aussi un test de cohérence pour l’État marocain. Car évaluer sans sanctionner, ou révéler sans transformer, reviendrait à consacrer l’inefficacité d’une réforme pourtant ambitieuse.

Derrière cette initiative se dessine la pression de l’échéance 2030, avec une vision assumée : faire du Maroc une destination d’excellence touristique en Afrique, alors qu’il s’apprête à accueillir la Coupe du Monde de football.

Pour cela, la qualité de l’hospitalité marocaine, souvent citée dans les campagnes institutionnelles comme un “atout naturel, devra devenir une valeur mesurable, professionnelle et crédible. Les visites mystères sont donc le premier maillon d’une chaîne de réforme plus vaste, qui inclura à terme la refonte de la formation initiale et continue dans les métiers de l’accueil, la réactivation des mécanismes de labellisation régionale et la création, souhaitée par plusieurs experts, d’un Observatoire Marocain de l’Éthique Touristique, indépendant, avec pouvoir d’analyse critique et publication de rapports annuels.

Avec une date limite de dépôt fixée au 15 septembre 2025, ces appels d’offres représentent une opportunité pour un secteur en mal de crédibilité institutionnelle. La vraie question, désormais, n’est pas “si” ces visites auront lieu, mais comment leurs résultats seront utilisés, publiés, et intégrés dans une dynamique d’amélioration continue.

Le Maroc, qui ambitionne d’accueillir 26 millions de visiteurs d’ici cinq ans, ne peut se permettre une hospitalité au rabais. Il lui faut des preuves tangibles de sérieux, de rigueur et de responsabilité. La visite mystère peut en être une. À condition qu’elle ne reste pas… un simple coup d’éclat.

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