Mais qu’est-ce qui bloque vraiment à Ouarzazate?

Ouarzazate végète toujours. Elle accueille moins de 2 % des touristes étrangers du Maroc, une fréquentation essentiellement saisonnière, concentrée autour de quelques circuits classiques (Ouarzazate, Aït Ben Haddou, Zagora) et une offre hôtelière souvent sous-utilisée. Pire, de nombreux établissements hôteliers y ferment en basse saison et les infrastructures touristiques peinent à se renouveler.

Alors qu’à la seule prononciation de son nom, la destination évoque les étendues du désert, les plateaux de cinéma, les kasbahs de terre ocre et un certain mythe du Sud marocain encore authentique. Sur le papier, la ville possède tous les atouts pour devenir une destination touristique de classe mondiale, paysages grandioses, patrimoine architectural rare, studios de tournage internationalement reconnus, proximité du Sahara, climat attractif toute l’année.

Mais qu’est-ce qui peut bien bloquer réellement son essor ? Est-ce une question de connectivité aérienne, de gouvernance, d’absence de vision stratégique ? L’analyse de sa déconfiture dévoile une combinaison de facteurs structurels, d’inerties politiques et d’aveuglements stratégiques. On ne cessera jamais de le dire. Ouarzazate, l’oubliée des plans régionaux de développement est un dossier mal traité depuis le départ.

Le facteur aérien est sans doute le premier nœud logistique du blocage. Alors que la destination ne se trouve qu’à 200 km de Marrakech (une des plus grandes plateformes touristiques du continent), elle souffre d’une quasi-invisibilité aérienne internationale. Qui plus est, l’aéroport de Ouarzazate, malgré des investissements structurels, reste largement sous-exploité. Au moment où les lignes aériennes directes vers l’Europe sont rares, saisonnières, voire interrompues. Ryanair, après une tentative de desserte vers Paris et Charleroi, a suspendu ses vols en 2020, faute de soutien économique local et de modèle de rentabilité pérenne. De son côté, la RAM n’a jamais investi stratégiquement la destination. Les vols depuis Casablanca sont peu fréquents, coûteux et rarement synchronisés avec les connexions internationales.

Le résultat est que Ouarzazate demeure écrasée par Marrakech, où les tour-opérateurs se concentrent, reléguant la destination au rang d’excursion secondaire, souvent à la va-vite, sans nuitée sur place.

Le deuxième verrou est politique. Qui porte réellement le projet touristique de Ouarzazate ? Le tour de table des acteurs impliqués montre un éparpillement des responsabilités. D’abord, la SMIT qui a pourtant inscrit Ouarzazate dans plusieurs stratégies nationales… sans jamais en faire une priorité. Ensuite , le Conseil régional du Drâa-Tafilalet qui, doté de faibles ressources propres, peine à piloter des politiques adaptées et intégrées, sans dire qu’il manque de poids véritable pour influencer l’aérien ou les grands investissements. Enfin, l’ONMT qui se focalise encore majoritairement sur les destinations phares (Marrakech, Agadir, Fez), reléguant Ouarzazate dans les bas-fonds de ses campagnes marketing internationales. Quant aux professionnels locaux du tourisme, faiblement structurés et divisés, peinent à formuler une vision commune et à peser dans les décisions nationales.

Conséquence? une absence de gouvernance cohérente, un manque d’arbitrages prioritaires et une stratégie flottante, sans pilote véritablement engagé.

Cela fait très mal de le dire, Ouarzazate vit encore sur la rente des années 90. L’offre repose sur un schéma usé qui se réduit à la visite de la Kasbah de Taourirt, arrêt photo à Aït Ben Haddou, passage aux studios, puis départ vers le désert. Tandis que les hôtels 3 et 4 étoiles sont nombreux… mais souvent vétustes, sans investissements récents et sans positionnement marketing différenciant. Surtout, aucun véritable tourisme culturel approfondi, peu d’événements d’envergure, absence de circuits patrimoniaux scénarisés ou de produits de niche, de spiritualité, photographie, éco-tourisme haut de gamme. Pourtant , le potentiel exceptionnel du cinéma, reconnu mondialement, n’est pas transformé en produit touristique solide. Les studios Atlas sont mal valorisés et peu animés. Même le tourisme rural et durable dans la région, en phase avec la demande actuelle, reste embryonnaire, faute de formations, d’infrastructures et de labellisation sérieuse.

Autrement dit : une richesse patrimoniale sans récit contemporain, un décor splendide sans scénarisation économique.

Au niveau central, la volonté politique d’ériger Ouarzazate en pôle touristique structurant reste purement déclarative. Des annonces sont faites régulièrement, comme la relance de la ligne Paris-Ouarzazate, le développement de l’écotourisme, le soutien à l’investissement hôtelier, mais elles ne sont que rarement suivies de faits.

Si on remonte à ce niveau à quelques années auparavant, on se souvient qu’en 2018 déjà, une promesse de zone touristique dédiée au tourisme cinématographique (Ouarzazate Film Village) n’a jamais été concrétisée. De même qu’un plan de développement touristique intégré autour du barrage El Mansour Eddahbi a été esquissé en 2016, mais aucune infrastructure nautique ou de loisir n’a vu le jour depuis. Alors que les ppels à projets pour l’investissement privé sont souvent désertés, faute d’incitations fiscales ou de connectivité aérienne garantissant un retour sur investissement.

Ce qui veut dire qu’il y a donc une absence criante de programmation stratégique à moyen terme et une frilosité politique à porter le dossier au plus haut niveau, contrairement à d’autres régions.

Enfin, il faut mentionner un facteur rarement analysé avec clarté : la cannibalisation touristique par Marrakech. Son développement effréné, soutenu par des politiques publiques et des partenariats public-privé massifs, a aspiré la majeure partie de la demande étrangère.

Épilogue. Ouarzazate ne souffre pas d’un manque d’attractivité. Elle souffre d’un système défaillant, où l’aérien, la gouvernance, l’offre et la volonté politique convergent dans l’immobilisme. Une ville potentiellement unique est traitée comme une étape secondaire. Point à la ligne !

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