Paradoxalement, au milieu des turbulences économiques mondiales, ralentissements et tensions géopolitiques, le Maroc connaît en 2025 l’une de ses plus fortes croissances hôtelières.
Ce n’est pas par pur hasard ou simple coïncidence bénie mais à la faveur d’une nouvelle stratégie de diversification, d’une montée en gamme maîtrisée et d’une réinvention du modèle d’accueil, que le Royaume a pu quand même recevoir plus de 15 millions de visiteurs étrangers à fin septembre (+14 % par rapport à 2024). Derrière cette performance se cache, sans doute, une profonde recomposition du paysage hôtelier, où se confrontent modernisation, exigence de rentabilité et quête d’identité.
Les chiffres sont là. Le taux d’occupation national moyen atteint 67 % en septembre 2025, soit trois points de plus qu’un an auparavant. Mais c’est la dynamique régionale qui retient l’attention.
Les données consolidées de l’Observatoire national du tourisme font état, pour les huit premiers mois de 2025, de plus de 20,6 millions de nuitées dans les établissements classés (+10 % sur un an) et d’un taux d’occupation moyen national de 51 %, soit une légère amélioration. Mais cette moyenne cache de fortes disparités régionales.
Casablanca connaît un spectaculaire redéploiement avec 71 % de taux d’occupation, soit une progression de 17 points. La métropole, tirée par la renaissance du MICE, l’émergence d’une hôtellerie design et boutiques-hôtels, en plus du renforcement des dessertes aériennes, devenant ainsi un hub de tourisme urbain et corporate.
Casablanca, avec ses hôtels hybrides, mêlant coworking, restauration locale et hospitalité flexible, préfigurent un modèle d’hôtellerie marocaine 4.0 : agile, urbaine et enracinée dans sa culture.
Marrakech et Agadir restent toujours les locomotives, culminant respectivement à 76 % et 75 % de taux d’occupation. L’effet combiné des festivals, des infrastructures modernisées, notamment la zone hôtelière de la baie d’Agadir et du retour des clientèles européennes, y joue à plein.
Fès-Meknès enregistre une reprise tangible mais fragile. À fin août 2025, la préfecture de Fès totalisait 653 694 nuitées, en hausse de 13 % sur un an, pour un taux d’occupation moyen de 41 % contre 39 % un an plus tôt. La saison estivale, portée par les festivals culturels et le tourisme domestique, a permis à certains établissements d’atteindre des pics de 57 % d’occupation en avril. Cependant, la région reste encore en retrait par rapport aux grands pôles balnéaires et souffre toujours d’une saisonnalité forte.
Béni Mellal-Khénifra, quant à elle, demeure en phase d’ancrage. Sur les neuf premiers mois de 2025, les établissements de la région ont enregistré environ 120 000 nuitées, soit une progression d’environ +11 % par rapport à 2024. La capacité d’accueil atteint désormais plus de 5 400 lits, avec des taux d’occupation encore modestes se situant autour de 30 % à 35 % selon les relevés régionaux. Le plan de valorisation du tourisme de montagne et du lac Bin El Ouidane commence toutefois à produire des effets visibles sur le tourisme intérieur.
À l’inverse, Tanger et Rabat marquent le pas, avec une contraction de 3 à 5 points, signalant une saturation relative de l’offre et un manque de différenciation touristique.
La région de l’Oriental confirme une montée en puissance à plusieurs niveaux à travers une capacité d’accueil accrue, afflux saisonniers soutenus et progression des nuitées. Les statistiques 2025 signalent 465 345 nuitées enregistrées dans la région sur la période, soit une (croissance d’environ +5,4 % vs 2024, et un taux d’occupation moyen mensuel reporté autour de 31 %. Les stations Saïdia et Marchika ont connu des pointes de fréquentation très élevées pendant l’été avec des taux d’occupation variant entre 80 et 90 % sur les semaines centrales de la saison, ce qui connote une forte saisonnalisation de la demande dans l’Oriental. Ces écarts saisonniers expliquent que le taux d’occupation moyen régional paraisse bas tout en dissimulant des performances locales remarquables.
Quant à Ouarzazate, la trajectoire semble contrastée. C’est vrai qu’il y a une hausse des arrivées à l’aéroport de Ouarzazate de l’ordre de +33/34 % (comparaison 2019-août 2025), ce qui peut être considéré comme un indicateur de reprise de l’accessibilité et de l’attractivité aérienne. Cependant, l’offre hôtelière est en difficulté avec, en 2025, des taux d’occupation autour de 23 % dans certains établissements Dans le même temps, certains établissements locaux, en dehors des segments haut de gamme et des projets rénovés, continuent d’afficher des tensions sur leurs taux d’occupation, ce qui veut dire qu’il y a décalage entre investissements structurants et absorption immédiate de l’offre.
Cette géographie à deux vitesses illustre une réalité structurelle d’un Maroc qui réussit à attirer massivement, mais qui doit encore mieux répartir sa croissance pour en faire un moteur de développement territorial rentable pour tous.
Justement, au-delà de la fréquentation, 2025 consacre une amélioration nette de la rentabilité quelque part. Passons !
En somme, à fin septembre 2025, le Maroc confirme sa vitalité touristique mais aussi ses déséquilibres où un double mouvement se dessine, entre la concentration persistante des flux dans les pôles historiques (Marrakech, Agadir, Casablanca) et l’émergence lente de nouveaux foyers régionaux (Fès-Meknès, Ouarzazate, Oriental, Béni Mellal-Khénifra) qui tentent, chacun à leur manière, de redéfinir l’équation régionale marocaine du tourisme entre identité, durabilité et compétitivité.
Pour ce qui est du revenu moyen national par chambre louée (RMC), il atteint 1 470 MAD, en hausse de 3 %. Le RevPAR, indicateur plus complet, progresse de 7 % pour s’établir à 985 MAD. Ces résultats montrent que Casablanca et Agadir enregistrent les performances les plus marquantes, avec des bonds respectifs de +28 % et +9 % du RMC.
Mais le plus remarquable demeure la polarisation par segments.
En effet, le luxe maintient un taux d’occupation stable à 63 %, mais avec un panier moyen dépassant 2 000 MAD par chambre, tiré par les grandes marques internationales et l’ouverture d’adresses signature comme le Fairmont La Marina à Rabat ou le Nobu Hotel à Marrakech.
Le milieu de gamme, longtemps délaissé, semble être le moteur du marché avec 77 % d’occupation moyenne, croissance des revenus entre +6 % et +11 %, portée par des enseignes locales et régionales plus agiles (Kenzi, Atlas Hospitality, Onomo).
Le segment économique, quant à lui, profite de la démocratisation du voyage intérieur et du télétravail nomade, avec une envolée de +12 points du taux d’occupation. Il obéit à une nouvelle demande de la mobilité maîtrisée, pragmatique et connectée.
Ce succès masque toutefois des tensions croissantes.
À Tanger, par exemple, certains établissements signalent une rotation du personnel dépassant 40 % par an, symbole d’un marché du travail déséquilibré.
Autre alerte : la standardisation croissante de l’offre. Entre les chaînes internationales et les resorts uniformisés, le risque d’un effacement de la singularité marocaine perceptible dans cette hospitalité artisanale et chaleureuse se fait bien sentir.
Or, la course à la certification et au digital ne doit pas se faire au détriment de l’authenticité culturelle, aujourd’hui facteur incontournable de différenciation dans un marché global saturé.
Enfin, la baisse de performance relative à Rabat interroge. La capitale peine à transformer son potentiel institutionnel et diplomatique en moteur touristique. L’absence d’une stratégie claire d’animation urbaine et d’événementiel explique en partie cette stagnation.
Face à ces défis, la réussite durable du tourisme marocain dépendra de sa capacité à valoriser le Sud saharien, le Moyen Atlas et les régions intérieures (Ouarzazate, Chefchaouen, Azilal) en développant des circuits d’écotourisme, de randonnée et de culture vivante.
Le Maroc dispose désormais de la taille critique, de la notoriété et du réseau aérien nécessaires pour conforter son image de leader régional du tourisme méditerranéen et africain.
Notre pays a, depuis longtemps, appris à accueillir. Il doit maintenant apprendre à se faire sentir autrement…




