Par son annonce, via communiqué de presse publié aujourd’hui jeudi 04 décembre, d’une liaison directe Casablanca-Los Angeles à compter du 7 juin 2026, Royal Air Maroc frappe certainement un grand coup sur le plan géostratégique. Encore que cette liaison conforte Casablanca dans son statut de porte d’entrée intercontinentale et hub entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique du Nord, à la veille de la Coupe du Monde 2026 et à l’horizon 2030.
Mais un détail opérationnel fragilise la cohérence de ce lancement vu l’horaire de départ de Casablanca fixé à 04h00 du matin. Un choix qui, loin d’être bienvenu, pose des problèmes sérieux de confort passager, de connectivité, de compétitivité et de cohérence avec l’engagement d’excellence mise en avant par la compagnie.
Bien que l’ouverture d’une ligne Casablanca-Los Angeles est une excellente décision sur le fond. Car elle répond à plusieurs dynamiques convergentes à travers la forte croissance du marché marocain et africain à destination des États-Unis, l’augmentation des flux diasporiques vers la Californie, le choix du Maroc comme partenaire majeur dans l’organisation de la Coupe du Monde 2030 et, particulièrement, la volonté de RAM de sortir d’un schéma strictement transatlantique New York, Montréal et Miami pour s’étendre sur le flanc Pacifique.
Avec ses 12 heures de vol direct, opéré en Boeing 787 Dreamliner, ce nouveau lien a tous les atouts techniques et symboliques pour devenir une ligne vedette, D’autant plus que Los Angeles est une destination mondiale due à son économie créative, son innovation, son tourisme, ses centres de décision et communautés internationales fortement reliées à l’Afrique. Sans parler son impact sur le plan diplomatique, culturel et économique.
Mais justement, une initiative de ce niveau exige une exécution irréprochable. Et c’est malheureusement là que le bât blesse.
Oui, le vol programmé à 04h00 du matin au départ de Casablanca interpelle immédiatement par son incongruité.
Pour un vol long-courrier premium, vendu probablement entre 10 000 et 15 000 dirhams en Economy, et beaucoup plus en Business, le confort global commencé bien avant l’embarquement. Or, que signifie concrètement un décollage à 04h00 ?
Cela implique pour le passager un réveil vers 00h30 ou 01h00 du matin, un départ de domicile vers 01h30–02h00, un trajet de nuit, avec un réseau de taxis limité, une arrivée à l’aéroport vers 02h00–02h30, un enregistrement et passage sûreté aux heures biologiquement les plus critiques, un embarquement dans un état de fatigue avancé, pour finir avec un vol de 12 heures dans un état déjà altéré physiquement et mentalement
Pour un passager business devant être opérationnel à son arrivée à Los Angeles à 08h20, cet enchaînement est non seulement inconfortable, mais contre-productif. Pour une famille, des seniors, des femmes seules ou des touristes internationaux, c’est une barrière dissuasive.
Aucune grande compagnie premium ne lance une ligne stratégique avec un horaire aussi punitif pour son marché domestique.
Même Emirates, Qatar ou Turkish évitent ce type de départ très matinal pour leurs liaisons phares intercontinentales, sauf lorsqu’il s’agit d’optimiser des correspondances ultra-denses. Or ici, Royal Air Maroc ne repose pas sur une masse critique de correspondances intercontinentales à 04h00 à Casablanca. Le choix n’est donc pas dicté par un hub naturel, mais par un arbitrage interne à la flotte.
Et ce choix mérite d’être questionné.
Royal Air Maroc affirme vouloir faire de Casablanca un hub international compétitif. Mais un hub compétitif ne repose pas uniquement sur des destinations, il repose sur une qualité d’expérience synchronisée, à commencer par la qualité des horaires, la fluidité des connexions, le confort nocturne de l’aéroport et les services ouverts 24/7. Est-ce le cas pour ce nouveau vol ?
Qui plus est, aujourd’hui, l’aéroport Mohammed V n’est pas conçu, en pratique, pour offrir une expérience haut de gamme entre 02h00 et 04h00 du matin.Les options de restauration sont presque inexistantes à cette heure et les lounges ne sont pas toujours pleinement opérationnels. Bref, cette réalité transforme un vol supposé premium en parcours du combattant nocturne.
Comment prétendre, alors, renforcer l’attractivité de la destination Maroc sur le marché américain tout en imposant aux voyageurs un départ quasi nocturne, à l’opposé des standards internationaux ? Il s’agit là d’un paradoxe profond dans la stratégie, en fait.
Sur le marché Casablanca-Los Angeles, la concurrence indirecte existe déjà par Air France via Paris, par KLM via Amsterdam, par Iberia via Madrid, par Lufthansa via Francfort, par Turkish Airlines via Istanbul et par Emirates via Dubaï et la côte Ouest… Toutes proposent des horaires de départ plus humains, généralement entre 09h00 et 13h00 ou entre 15h00 et 18h00.
Et le client n’est pas idiot, il comparera le prix, le temps total de voyage, le confort global et, surtout, l’horaire de départ. Et sur ce dernier critère, Royal Air Maroc part avec un handicap majeur. Un 04h00 du matin peut suffire à détourner une part significative de la clientèle premium et des touristes américains peu enclins à une telle contrainte. C’est un handicap auto-infligé.
Si Royal Air Maroc veut réellement faire de Los Angeles une route phare, elle devra tôt ou tard la traiter comme telle. En l’état, l’annonce ressemble davantage à un exploit géographique qu’à une réflexion complète centrée sur le passager.
D’accord, notre compagnie nationale mérite d’être saluée pour sa prise de risque, sa projection internationale et sa volonté de faire du Maroc un acteur global du ciel. La ligne Casablanca-Los Angeles est une idée forte, intelligente, visionnaire. Mais un grand saut géographique exige une grande précision opérationnelle. C’est le début de l’expérience, le premier contact entre la vision stratégique et la réalité humaine du voyage. À 04h00 du matin, cette réalité commence trop mal.




