Le Maroc a évidemment performé en 2024, enregistrant 17,4 millions de visiteurs, soit une hausse de 20 % par rapport à 2023, et de 35 % par rapport à 2019, l’année pré-Covid de référence. Ces performances confortent bien sûr notre pays dans le peloton de tête des destinations les plus dynamiques de la région MENA. Pourtant, derrière ces chiffres record, une question préoccupante reste entière : cette croissance repose-t-elle sur une logique soutenable ? Faut-il viser davantage de visiteurs ou mieux capitaliser sur chaque arrivée ?
Le premier moteur de cette performance réside sans doute dans la fidélité des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE), moins nombreux cette année. Or, en 2024, ils représentaient près de la moitié des arrivées touristiques.
Mais la contribution économique directe des MRE au secteur touristique formel demeure relativement faible. Leur comportement de consommation, souvent hébergés en famille, avec des dépenses concentrées sur la période estivale et peu de recours à l’offre organisée (hôtellerie, excursions, restauration touristique), limite leur impact en matière de création de valeur touristique.
Autrement dit, le volume ne garantit pas le rendement. Si les MRE assurent la densité, ce sont les touristes internationaux à fort pouvoir d’achat, notamment européens et nord-américains, qui assurent la valeur ajoutée économique nationale, via un recours accru aux hébergements payants, aux expériences touristiques et à l’artisanat formel.
Pour info, le revenu moyen par touriste étranger au Maroc s’est établi à environ 600 € en 2024, une progression encourageante, mais encore insuffisante au regard des standards internationaux. Quand on sait que le pays pointe à la 53e place mondiale en termes de rendement par visiteur, bien en dessous de pays comme le Portugal (~890 €), la Turquie (~750 €) ou même l’Égypte (~680 €), pourtant confrontée à des enjeux sécuritaires et politiques.
Ce différentiel s’explique notamment par une ffre encore trop polarisée sur les courts séjours low-cost, avec une forte dépendance à la clientèle de groupes et aux packages économiques. Sans parler d’une concentration géographique excessive sur quatre ou cinq destinations majeures (Marrakech, Agadir, Casablanca, Fez, Tanger) au détriment de l’arrière-pays et des territoires émergents. Mais surtout un déficit d’expériences haut de gamme authentiques et structurées, pourtant en forte demande (écotourisme, bien-être, tourisme gastronomique, immersions culturelles).
Fait marquant : la stratégie nationale actuelle tente de conjuguer les deux logiques -volume et valeur- à travers une montée en gamme progressive de l’offre. Cela passe par l’intégration des hébergements alternatifs dans le cadre légal via la loi 80-14, qui vise à structurer des segments comme les maisons d’hôtes, Airbnb, bivouacs ou logements immersifs, en les soumettant à un classement de qualité unifié. Ou encore l’appui à des programmes ciblés comme Go Siyaha, qui accompagne techniquement les petites structures pour innover, formaliser leur activité et capter des marchés internationaux. En même temps, la promotion de nouvelles expériences touristiques moins dépendantes du balnéaire ou du city-break : randonnée, tourisme spirituel, circuits artisanaux, digital detox, etc.
Mais ces efforts restent encore trop dispersés et insuffisamment lisibles à l’international. Faute d’une politique claire de segmentation des clientèles et de montée en gamme ciblée, le Maroc risque de diluer ses ressources dans une logique de “tout pour tous”, sans aligner son offre sur des niches à haut rendement (tourisme de santé, croisières de luxe, tourisme éducatif, etc.).
En 2024, les recettes touristiques ont atteint 112 milliards de dirhams, soit une hausse de 43 % par rapport à 2019. C’est un record, et un signal fort de la reprise. Mais cette performance s’explique en grande partie par l’effet combiné de la hausse mécanique du nombre d’arrivées et de l’effet d’inflation internationale, qui a renchéri le panier moyen sans nécessairement améliorer la qualité du service perçue.
En l’absence d’un suivi fin du panier de consommation touristique par typologie de visiteurs, ces chiffres peuvent masquer une fragilité : celle d’une dépendance à des flux de visiteurs peu rentables ou à faible fidélisation.
Les prévisions 2025 tablent sur une croissance modérée des recettes (+3 %). Cette tendance traduit une forme de maturité du secteur, mais aussi un risque d’essoufflement si les arbitrages politiques ne sont pas clarifiés. Plusieurs questions structurantes restent ouvertes : Faut-il continuer à subventionner l’attraction de flux massifs de visiteurs low cost, au risque de saturer les infrastructures et de dégrader l’expérience ? Comment accélérer la montée en gamme sans exclure les opérateurs informels ni briser l’attractivité prix du Maroc ? Le modèle actuel est-il capable d’absorber les effets d’un tourisme de masse sur l’environnement, les ressources en eau, et le tissu social local ?
Le choix n’est pas strictement binaire entre qualité et quantité. Mais, selon la plupart des professionnels, une orientation stratégique claire est nécessaire pour éviter que le volume ne cannibalise la valeur. Cela suppose d’investir davantage dans les contenus, les compétences, la gouvernance locale, et les outils d’évaluation, pour faire du tourisme un levier de transformation durable, et non une course aux chiffres.




