A en croire plusieurs sources expertes concordantes, le Maroc aurait, à fin mai, atteint un nouveau seuil critique, le déficit commercial ayant franchi les 133 milliards de dirhams, en hausse de plus de 15 % par rapport à l’année précédente. Ce chiffre, au-delà de sa dimension technique, cache une dynamique inquiétante. Notre pays continue, en effet, de consommer bien davantage qu’il ne produit et exporte. Nos importations ont progressé de 7,4 %, alors que nos exportations n’ont crû que de 2,8 %, faisant reculer le taux de couverture à 59,9 %. Une alerte qui dépasse les considérations macroéconomiques pour toucher directement la soutenabilité de notre modèle de développement.
Ce déséquilibre va en s’aggravant et traduit un retard industriel structurel que les plans successifs n’ont pas réussi à combler. Le tissu productif local reste ainsi dépendant des importations, même dans des secteurs réputés moteurs comme l’automobile, l’agroalimentaire ou le pharmaceutique. La filière automobile, par exemple, bien qu’en tête des exportations marocaines, importe massivement ses composants électroniques, ses pièces critiques et une partie de ses technologies embarquées. Le secteur pharmaceutique, quant à lui, fabrique une majorité de médicaments consommés localement, mais dépend à plus de 85 % de matières premières venues de l’étranger.
Ces dépendances impliquent une faiblesse alarmante, c’est à dire qu’il n’a pas encore su ancrer ses chaînes de valeur dans une logique d’intégration locale profonde. La sous-traitance, souvent vantée pour sa compétitivité, ne suffit pas à bâtir une économie robuste. Elle expose le pays aux chocs externes, limite la création de valeur ajoutée nationale et fragilise les réserves en devises. C’est tout l’écosystème de production qui doit évoluer vers plus d’autonomie, de densité technologique et de capacité d’innovation.
Face à cet état de fait, le réflexe du “Made in Morocco” est devenu un impératif. Non plus un slogan marketing, mais bien un acte de responsabilité. Il ne s’agit pas simplement de consommer local par principe, mais de reconstruire un lien de confiance entre le consommateur marocain et la production nationale. Or, cela suppose que cette production soit à la hauteur, compétitive, fiable et normalisée. Aujourd’hui, une partie des produits locaux souffrent d’un manque de visibilité dans les circuits modernes de distribution ou peinent à répondre aux standards attendus. De nombreuses PME, faute de moyens ou de soutien, n’ont pas accès aux certifications internationales qui leur ouvriraient les portes des marchés exigeants.
Pourtant, certaines réussites prouvent qu’un autre chemin est possible. Dans les cosmétiques, des marques marocaines comme Nectarome ou Tiyya ont conquis des parts de marché à l’international grâce à des produits à base d’ingrédients naturels locaux, valorisés par un savoir-faire ancestral et une exigence moderne. Dans le textile technique, des groupes comme Richbond ont su innover en intégrant des composants marocains dans des produits à haute valeur ajoutée. Même dans la tech, des startups émergent, comme Nextronic à Fez, qui développe des capteurs pour l’agriculture intelligente. Ces exemples montrent que l’excellence locale existe, mais qu’elle a besoin d’un écosystème cohérent pour se déployer à grande échelle.
Réduire notre déficit commercial ne se fera pas par une simple campagne de communication ou par des appels à la solidarité économique. Cela exige des choix courageux : renforcer l’intégration industrielle, réformer les incitations fiscales, stimuler la recherche appliquée, soutenir la montée en gamme des PME et imposer progressivement une part de contenu local dans les commandes publiques. Il est aussi temps de créer un véritable label national de qualité, crédible, exigeant, indépendant, un repère pour les consommateurs et un mobilisateur pour les producteurs.
La bataille du commerce extérieur est, en réalité, une bataille pour la souveraineté économique. Le déficit d’aujourd’hui, en plus qu’il est une ligne rouge sur le tableau statistique, il constitue le déclic qui nous oblige à repenser notre manière de produire, de consommer et d’investir. À ce stade, acheter local devient une nécessité stratégique.




