Saïdia sous tension : des milliards investis, des failles invisibles (5)

La carte postale est séduisante avec ses beaux resorts cinq étoiles alignés le long de la plage, ses golfs signés par des architectes internationaux, sa marina scintillante au coucher du soleil… Tout est nickel pour en faire, peut-être, la meilleure station balnéaire du Maroc, mais…

Depuis quinze ans, l’État et ses partenaires privés ont injecté des milliards de dirhams dans Saïdia pour justement en faire un pôle touristique imparable de la Méditerranée. Pourtant, derrière ce décor luxueux, les fragilités  se ressentent, demeurent. Les infrastructures sociales, sanitaires et énergétiques n’ont pas tellement suivi le rythme des investissements hôteliers, créant un déséquilibre structurel arbitraire qui compromet la crédibilité de la station.

On s’en souvient bien. Depuis le lancement du Plan Azur, la station a bénéficié de capitaux colossaux : hôtels Radisson, Iberostar Waves, Be Live, Oasis, golfs « Lacs » et « Teelal », marina et résidences, pour ne citer que ceux-ci. Chaque resort se compte en centaines de millions de dirhams investis. Magnifique ! Et la main d’œuvre qualifiée pour y travailler ? Niet! La seule école hôtelière de Saïdia, censée assurer la formation des ressources humaines, reste fermée au moment où ses structures en ont besoin. Résultat ? Faites un tour et vous verrez. Peu d’unités s’en sortent avec un personnel qu’elles ont formé sur le tas… Alors que la station nourrit des ambitions légitimes d’attractivité, un personnel qualifié se fait très rare. On se demande comment elle entend s’en sortir pour être au rendez-vous de 2030…

Cette contradiction saute aux yeux des opérateurs : comment rentabiliser des chambres à 2 000 ou 3 000 dirhams la nuitée si le service n’atteint pas les standards promis ? Un directeur d’hôtel résume : « Nous avons des infrastructures de Dubaï mais une main-d’œuvre formée en urgence chaque été. La station est condamnée à décevoir si on ne règle pas ce déséquilibre. »

La fermeture de l’école hôtelière est quelque part symptomatique, elle symbolise un choix trop tiré par les cheveux: prioriser le béton et négliger le capital humain. « L’école hôtelière de Saïdia, censée former les nouvelles générations aux métiers du tourisme, est fermée depuis plusieurs années. Résultat : chaque été, les établissements reconstituent leurs équipes à la hâte », s’exclame un autre professionnel manifestement excédé.

Une gouvernante raconte : « En juin, on recrute des jeunes qui n’ont jamais mis les pieds dans un hôtel. On les forme en trois jours, puis ils se retrouvent face à une clientèle internationale. »

De la sorte, le positionnement premium, se trouve fragilisée par un déficit structurel de formation locale.

Les hôtels de la station peuvent multiplier comme ils peuvent les jolis spas et les fantastiques centres de bien-être, mais bizarrement aucun hôpital moderne n’est disponible dans la station. En cas d’urgence, les transferts se font vers Berkane ou Oujda, à plus d’une heure de route. Pour une clientèle internationale, familles européennes, retraités actifs, golfeurs, cette carence est évidemment rédhibitoire.

Un soir d’août, une touriste espagnole victime d’un malaise cardiaque a dû être transférée d’urgence à Oujda, soit plus d’une heure de route. « Le temps que le SAMU arrive, nous savions déjà que c’était trop tard », raconte un employé sous couvert d’anonymat. L’épisode démontre une faille majeure : Pour une destination qui se rêve haut de gamme, c’est une incongruité lourde.

Le paradoxe est cruel : des centaines de millions dépensés pour deux golfs dernier cri, mais pas un dirham comparable pour un centre hospitalier intégré construit par l’Etat. Là encore, le visible a prévalu sur l’essentiel.

Autrement, les témoignages se ramassent à la pelle sur les coupures d’eau et d’électricité, y compris en pleine haute saison. D’accord , les générateurs des hôtels atténuent l’impact, mais ne suffisent pas toujours. On nous raconte qu’en juillet 2025, plusieurs hôtels ont dû gérer des climatisations coupées pendant des heures, ternissant l’expérience client.

Ces défaillances posent une question pesante: comment positionner Saïdia face à Antalya ou Hammamet, où les réseaux sont plus robustes, si la station peine à garantir une continuité de service élémentaire ?

L’autre faiblesse observée est économique. La plupart des établissements ferment neuf mois sur douze. Résultat : Des milliers d’emplois précaires et saisonniers, une dépendance aveugle aux désidératas des tour-opérateurs, qui négocient à prix bas, des infrastructures surdimensionnées sous-utilisées et , bien sûr, une rentabilité globalement fragile malgré des pics d’occupation.

Un restaurateur local ironise : « En août, on a l’impression d’être sur la Costa Brava. En octobre, on pourrait tourner un western dans les rues désertes. »

Le contraste est brutal et souligne l’absence de stratégie « quatre saisons », pourtant indispensable pour stabiliser l’économie locale.

L’histoire de Saïdia paraphrase une logique de développement trop centrée sur le visible. On a construit des murs, des golfs, des marinas. Mais on a négligé le service, la formation, la santé, les réseaux. Le résultat est une station brillante en façade, mais qui repose sur des fondations fragiles. Qui plus est, chaque été, Saïdia se remplit à craquer. Les taux d’occupation flirtent avec 90 % en août. Mais dès septembre, le silence s’installe. Plusieurs hôtels ferment totalement pour neuf mois, plongeant la station dans une semi-hibernation.

Pour que Saïdia devienne une véritable destination méditerranéenne de référence, il faudra à notre avis investir particulièrement dans l’invisible, en réouvrant, d’abord,l’école hôtelière mais en plus moderne adapté, en construisant un hôpital intégré à la station, en renforçant les réseaux techniques pour remédier aux pannes éventuelles, etc.

Sans cela, la « perle bleue » risque de rester un produit marketing plus qu’une destination viable . Il fait, en effet, mal que sous la lumière crue de l’été 2025, la réalité apparaît plus nuancée. Derrière les façades vitrées et les slogans touristiques, une fragilité structurelle persiste, humaine, technique, organisationnelle, qui menace l’ambition affichée de hisser la « perle bleue » au rang des grandes stations méditerranéennes.

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