L’empire Ryanair irrite les passagers marocains

En 2024, Ryanair est devenue la première compagnie aérienne au Maroc, avec près de 9,1 millions de passagers transportés, contre 7,4 millions pour la Royal Air Maroc, deuxième opérateur national. Dans le cadre de son programme estival 2024, la compagnie a injecté  pas moins de 1,4 milliard de dollars d’investissements au Maroc avec la création de sa quatrième base à Tanger, 175 routes dont 35 nouvelles, et plus de 5 millions de passagers attendus. Forte de cette percée, ses ambitions ne s’arrêtent pas là puisqu’elle compte porter à 10 millions de passagers dès 2027, puis atteindre 30 millions d’ici 2030, en préparation de la Coupe du Monde.

Il ne faut pas le nier, ce déploiement massif a certainement des impacts positifs incontestables : dynamisation du tourisme interne et international, désenclavement de villes comme Beni-Mellal ou Errachidia, création directe de près de 500 emplois dans l’aviation et milliers d’emplois touristiques.

Mais ce succès fragilise simultanément la position du passager : confronté à des frais jugés arbitraires. surtout autour des bagages,  il demeure sans recours réel face à des pratiques jugées opaques, alors même qu’il finance indirectement l’expansion de ces opérateurs.

On raconte qu’un voyageur marocain, certes habitué à voyager avec les mêmes bagages en Europe sans frais, a été verbalisé au Maroc pour le même équipement, un signe d’incohérence réglementaire factuel, mais surtout vécu comme un traitement discriminatoire.

Sur Reddit, un internaute souligne avec ironie les dynamiques de rentabilité : « It’s basically using Morocco as a cheap labor base while making most of their money in Europe ».

Un autre salue les vols intérieurs à partir de 160 dirhams l’aller simple, tout en regrettant l’absence de médiation ou d’explication claire.

D’accord, l’y Maroc accueille le premier transporteur étranger du pays. Pourtant, ce succès commercial ne s’accompagne pas d’un cadre protecteur solide pour les passagers. Contrairement à l’Europe, où les compagnies low-cost sont soumises à des régulations strictes, comme l’AESA en Espagne, ou des procédures de sanctions, aucune instance similaire n’est clairement identifiée au Maroc.

Le rapport de force entre Ryanair et les voyageurs marocains démontre une tension structurelle, soit une croissance spectaculaire, sans contrepartie en matière de régulation ou de protection consommateur. Oui  c’est vrai, le Maroc est un hub aérien incontestable, mais quand même il devient urgent que cette ouverture s’accompagne d’un équilibre pour ne pas sacrifier la confiance des passagers à l’autel du low-cost.

Si on fait la lecture du paysage aérien marocain, celui-ci met en évidence un trafic dominé par Ryanair qui s’accapare de 22,5 % de part de marché, elle dépasse la RAM, pourtant compagnie nationale, qui n’a transporté « que » 7,4 millions de passagers pour une part de marché de 18,3 %.

Ce contraste est renforcé par l’ampleur des destinations desservies : 175 lignes pour Ryanair contre 94 pour la RAM. Cela veut tout dire sur le modèle expansif du low-cost, basé sur une multiplication de liaisons point-à-point et une couverture géographique maximale, notamment vers la diaspora et le tourisme de masse.

À l’inverse, la RAM reste plus concentrée, avec une flotte nettement plus réduite (53 appareils contre 580 pour Ryanair), et une offre plus hybride, internationale, mais aussi tournée vers le hub de Casablanca et les vols long-courriers.

Air Arabia Maroc, troisième opérateur, affiche 2,2 millions de passagers et 5,4 % de parts de marché, consolidant son rôle de low-cost local, mais sans atteindre l’effet d’un géant comme Ryanair.

Quant à Transavia (1,8 million de passagers) et EasyJet (1,6 million), leur présence reste significative, mais marginale comparée aux deux leaders.

La RAM, pourtant porte-étendard du pavillon marocain, est clairement devancée sur son propre marché par Ryanair, une compagnie étrangère. Ryanair opère avec une flotte mondiale colossale et une stratégie de conquête agressive (multiplication des bases, tarifs d’appel ultra-compétitifs), face à une RAM contrainte par ses équilibres financiers et ses obligations de service public.

On remarque par là une dépendance croissante au low-cost. En effet, avec plus de 30 % du trafic assuré par Ryanair, Transavia, EasyJet et Air Arabia, l’aérien marocain s’inscrit désormais dans une logique dominée par le prix, ce qui fragilise la durabilité des modèles alternatifs.

Et si Ryanair atteint son objectif annoncé de 30 millions de passagers d’ici 2030, soit plus du triple de la RAM actuelle, le Maroc pourrait se retrouver dépendant d’un acteur unique dont la logique reste avant tout commerciale, et non territoriale ou nationale. Mieux, elle devient ainsi le régulateur de fait du ciel marocain, imposant son rythme et ses règles, dans un contexte où les mécanismes de protection des passagers et de régulation restent en retard.

Si la trajectoire annoncée par la compagnie irlandaise se confirme, avec un objectif de 30 millions de passagers transportés au Maroc d’ici 2030, soit l’équivalent de près de 40 % du trafic total attendu, plusieurs scénarios et implications critiques se dessinent.

Le poids de Ryanair dépasserait alors non seulement la RAM mais l’ensemble des autres compagnies réunies, plaçant le pays dans une forme de dépendance structurelle. Une telle hégémonie signifierait que la desserte de villes marocaines, petites ou grandes, serait largement dictée par la logique commerciale de Ryanair (rendement, saisonnalité, routes rentables), et non par une stratégie nationale de connectivité ou d’aménagement du territoire.

Par exemple, si la compagnie juge une ligne comme Rabat–Milan peu rentable, elle pourra la fermer unilatéralement, privant la diaspora ou les PME exportatrices d’un lien vital. Le Maroc n’aurait guère de quoi l’en empêcher.

Le succès du low-cost repose sur des billets attractifs (parfois moins de 200 dirhams l’aller simple), mais les coûts additionnels bagages, priorité d’embarquement et sièges réservés, grèvent souvent la facture finale. La clientèle marocaine, plus sensible aux prix que d’autres marchés européens, risque d’être la plus pénalisée.

En 2030, avec le scénario de Ryanair, la RAM devra soit se repositionner sur le haut de gamme (long-courrier, alliances internationales, hub de Casablanca), soit subir une marginalisation croissante sur le court et moyen-courrier.

De surcroît, ydomination d’un seul transporteur low-cost étranger équivaut à céder une partie de la souveraineté économique et logistique du pays. Le trafic aérien ne relève pas seulement du commerce, il conditionne la mobilité de la diaspora, l’attractivité touristique et même la sécurité nationale.

Si Ryanair concentre une telle part du marché, toute tension commerciale ou politique pourrait se traduire par une pression directe sur l’État via ses citoyens et ses flux touristiques.

Si notre pays s’en remet massivement à Ryanair, il court le risque de bâtir son attractivité sur une logique de masse à bas prix plutôt que sur une montée en gamme. Or, les destinations concurrentes comme Dubaï ou Istanbul se sont imposées précisément en misant sur une combinaison infrastructures premium et compagnies nationales fortes.

À l’horizon 2030, un Maroc où quatre voyageurs sur dix volent avec Ryanair serait un espace aérien sous tutelle commerciale étrangère, avec tous les risques que cela comporte : fragilité des droits des passagers, dépendance stratégique, marginalisation du pavillon national.

Pour éviter ce scénario pas gai du tout, l’État devra anticiper dès maintenant, en imposant un cadre de régulation ferme, en réformant la RAM pour la rendre complémentaire au low-cost et en s’assurant que l’essor du trafic profite réellement à l’économie locale et aux citoyens plutôt qu’aux seuls actionnaires de Dublin.

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