Dans un podcast diffusé il y a 6 mois sur YouTube par Next Wave, intitulé « Le MAROC est une terre d’OPPORTUNITÉS », Adil Douiri (ex-ministre du Tourisme et dirigeant de CFG Bank, Mutandis) met en lumière le dynamisme du Maroc et ses potentialités. Le contenu reste d’une actualité mordante. En voici une lecture pertinente mise au goût du jour…
Quand Adil Douiri affirme que le Maroc est une « terre d’opportunités », synthèse d’un parcours professionnel personnel où se profilent finance, action publique, tourisme et industrie, et où l’expérience vécue vient étayer l’analyse. L’ancien ministre du Tourisme et fondateur de CFG Bank et Mutandis structure son propos autour de plusieurs axes prioritaires: la construction de marchés financiers solides, le rôle catalyseur de l’État, la nécessité du temps long dans l’industrie, l’internationalisation raisonnée et le potentiel inexploité de la Bourse. Autant de thèmes qu’il se fait plaisir d’agrémenter de faits précis et que l’on peut commenter à la lumière des défis actuels de notre pays.
Douiri insiste sur une idée centrale : avant de « faire du deal », il faut construire l’infrastructure de marché. À la création de CFG dans les années 1990, le Maroc n’avait ni profondeur boursière ni culture d’investissement développée. CFG se donne pour mission de créer de la recherche financière, de distribuer l’épargne, d’accompagner les entreprises dans leurs levées de fonds. Ce travail de fond, souvent invisible, finira par aboutir à la transformation en banque universelle en 2015 puis à l’introduction en Bourse de CFG Bank en 2023, première IPO bancaire depuis vingt ans.
C’est clair. Cette approche met le doigt sur une vérité peu glamour : les opportunités réelles se construisent sur des décennies. Douiri en donne un exemple chiffré : 600 millions de dirhams levés, un flottant de 15 %, une valorisation proche de 3,9 milliards de dirhams. Ce sont des ordres de grandeur rares dans le paysage marocain. Mais le revers est visible. Si l’écosystème avait été plus dynamique, la Bourse n’aurait pas dû attendre deux décennies pour voir une banque s’introduire. L’opportunité existe, mais elle reste fragile et dépend encore de quelques acteurs moteurs.
Autre axe fort de Douiri, l’expérience publique. Ministre du Tourisme entre 2002 et 2007, il décrit la fonction comme une école de l’arbitrage et de la contrainte : peu de temps, beaucoup d’acteurs et des décisions à fort impact. Selon lui, cette période a renforcé sa conviction qu’un pays ne se transforme pas seulement par la sphère privée mais par des politiques publiques structurantes, notamment dans des secteurs comme le tourisme ou l’industrie exportatrice.
Le propos est lucide. L’État n’est pas un frein par essence, il peut être un accélérateur si ses politiques sont lisibles et exécutées. Mais Douiri n’élude pas la réalité, les rythmes politiques et économiques ne coïncident pas toujours. Cette tension entre urgence et temps long reste l’un des défis structurels du Maroc.
Douiri consacre une large part de son discours à Mutandis, son groupe industriel. Il y défend un modèle d’entrepreneuriat industriel et patient : croissance organique, acquisitions ciblées, et adoption d’une structure juridique originale (la société en commandite par actions) qui permet de stabiliser le contrôle tout en ouvrant le capital. La prise de contrôle de la marque américaine Season Brand en 2021 étaye cette stratégie. Un actif centenaire dans les sardines, 50 millions de dollars de chiffre d’affaires, repris par un acteur marocain capable d’en extraire de la valeur grâce à son savoir-faire.
Cet axe apporte une leçon selon laquelle les opportunités marocaines ne sont pas seulement domestiques. L’industrie locale peut s’exporter ou absorber des actifs étrangers. Mais cette stratégie exige rigueur et financement patient. En effet, peu d’entrepreneurs marocains disposent aujourd’hui des ressources ou du cadre de gouvernance nécessaires pour la reproduire. Là encore, Douiri ouvre une piste mais souligne implicitement la rareté des trajectoires comparables.
Un autre thème récurrent : la Bourse de Casablanca. Douiri plaide pour qu’elle devienne une source majeure de financement des entreprises et pas seulement une vitrine pour quelques groupes. Selon lui, cela suppose des introductions plus fréquentes, une fiscalité attractive et une éducation financière des particuliers. Les cas de Mutandis et CFG montrent que c’est possible.
Le diagnostic est juste et corroboré par les faits. En 2023, la cote reste peu profonde et le nombre d’IPO faible. La réussite de CFG ne doit pas masquer la rareté des opérations. Pour que la Bourse devienne un véritable outil, il faudra des réformes structurelles avec la simplification des processus, diversification des instruments (ETF, PEA marocain) et une meilleure liquidité.
Enfin, Douiri termine sur un message adressé aux jeunes entrepreneurs : ne pas chercher « l’idée géniale », mais identifier un problème et le résoudre avec discipline. L’exécution locale est la clé pour comprendre la réglementation, le marché, les ressources humaines. C’est un discours qui tranche avec l’obsession de la start-up “disruptive” déconnectée des réalités.
Ce conseil est d’autant plus pertinent au Maroc que l’économie reste en construction au moment où les besoins non satisfaits abondent. Mais il appelle aussi un environnement favorable tel l’accès au financement, les infrastructures, la stabilité réglementaire. L’entrepreneur peut résoudre des problèmes, il ne peut pas seul réformer un écosystème.
L’intérêt des déclarations d’Adil Douiri tient à leur densité et à leur lucidité. Il légitime ses propos par des trajectoires et des chiffres : une banque créée de zéro et cotée, un groupe industriel qui achète une marque américaine, un statut juridique innovant, un plaidoyer chiffré pour la Bourse. Ces grands axes de la finance, l’État, l’industrie, le marché de capitaux et l’entrepreneuriat, dessinent ensemble une vision exigeante : le Maroc a des opportunités, mais elles se saisissent par la méthode, la patience et une compréhension fine des règles du jeu.
Il est important de rappeler que, durant son mandat au Tourisme, Douiri a initié une véritable refonte structurelle de l’approche touristique. On lui doit notamment des études clients inédites. En effet, pour la première fois, le Maroc a mené des analyses détaillées sur les comportements et attentes des visiteurs. L’objectif était de dépasser les clichés promotionnels et bâtir une offre adaptée à chaque marché source (France, Espagne, Royaume-Uni, marchés émergents). Comme il avait mis en place une stratégie marketing nationale structurée plutôt que des campagnes isolées, en instaurant une planification cohérente des budgets et messages, segmentée par cible, basée sur des données concrètes et des indicateurs de performance.
L’aménagement territorial intégré constituait également l’un des points forts de son mandat. Son action a contribué à poser les bases de la Vision 2010, qui cherchait à relier développement touristique et urbanisme.
Ce travail, parfois invisible pour le grand public, a été fondateur. Sans ces études de marché et ces schémas directeurs, les stratégies touristiques postérieures (Vision 2020, Plan Azur) n’auraient pas eu la même base analytique.
Le trait le plus singulier de Douiri est son obsession pour le temps long. Ce qu’il a fait au ministère, il l’a appliqué ensuite dans la finance et l’industrie : créer des fondations solides avant de chercher la rentabilité rapide. CFG a investi dans la recherche financière à une époque où le marché boursier marocain était embryonnaire ; Mutandis a construit un groupe industriel capable de racheter une marque américaine centenaire (Season Brand) grâce à une gouvernance innovante.
Cette capacité à relier des données, des territoires et des acteurs multiples distingue Douiri d’un dirigeant classique. Il a conçu des cadres stratégiques, que ce soit pour un secteur entier (tourisme), pour un marché (finance) ou pour une industrie (agroalimentaire).
Ce bilan ministériel, souvent éclipsé par ses succès entrepreneuriaux récents, reste d’une actualité frappante. Alors que le Maroc se prépare à accueillir des événements mondiaux (Coupe du Monde 2030) et à mettre en œuvre de nouvelles normes (tourisme durable, digitalisation des services), les enseignements de Douiri résonnent : Planifier avec des données, pas des intuitions, aligner ménagement du territoire et stratégie marketing et faire du temps long un atout compétitif.
Ce regard de long terme, implémenté dans l’analyse et la planification, reste d’ailleurs la marque de fabrique d’un véritable stratège.




