Le programme Cap Hospitality, conçu pour remettre à niveau un parc hôtelier marocain vieillissant, est en train de devenir un test grandeur nature de la capacité du pays à piloter une politique industrielle du tourisme. Les chiffres bruts semblent prometteurs : 7 milliards de dirhams de demandes d’investissement, pour 4 milliards de crédits éligibles aux intérêts pris en charge par l’État, et 60 dossiers officiellement déclarés validés. Sur le papier, l’opération semble être un succès total. En effet, l’enveloppe ciblée serait entièrement absorbée, les besoins dépassent même le cadre prévu, et le secteur apparaît engagé dans une dynamique de rattrapage.
Mais une lecture attentive montre une réalité beaucoup plus complexe et c’est précisément là que réside l’enjeu. Les chiffres communiqués racontent une histoire partielle des dossiers déposés et non celle des projets effectivement financés. Et c’est dans cet écart, entre ambition politique et capacité opérationnelle, que se joue justement l’avenir du tourisme marocain à l’horizon 2026.
Le premier enseignement du ratio 7 milliards demandés dont 4 milliards activables, c’est que l’appareil hôtelier marocain a atteint un point où la rénovation n’est plus un choix, mais une condition de survie. Si la demande excède de près de 75 % l’enveloppe disponible, ce n’est nullement un effet d’aubaine mais plutôt la mesure exacte de la vétusté accumulée sur quinze ans, dans un secteur où une chambre non rénovée tous les 8-10 ans perd entre 12 et 30 % de sa valeur de marché.
Ce delta révèle quoi? Il démontre aisément que la courbe d’investissement du secteur est peut-elle restée profondément en dessous des standards internationaux. La comparaison avec les destinations concurrentes de Turquie, du Portugal et d’Égypte montre que le Maroc a sous-investi dans la modernisation hôtelière depuis la période 2005–2010. Qui plus est, les marges opérationnelles des opérateurs indépendants ne permettent plus d’autofinancer la rénovation. Mieux, la prise en charge des intérêts par l’État agit tout simplement en correcteur d’un modèle économique fragilisé.
En lui-même, le parc hôtelier est à deux vitesses avec une élite modernisée de chaînes intégrées, resorts internationaux et un bloc massif d’unités vieillissantes qui représentent pourtant l’essentiel de la capacité nationale.
Le point le plus sensible concerne la distinction fondamentale entre un dossier validé administrativement et un dossier réellement financé.
Autrement, les retours de la FNIH en septembre, évoquant 20 à 30 % de dossiers approuvés mais non validés par les banques, constituent un signal critique. Ce décalage peut littéralement réduire d’un tiers ou plus l’impact réel du programme.
En d’autres termes, tant que le ministère n’a pas publié la liste des dossiers ayant obtenu l’accord bancaire ferme, la date prévue des décaissements et l’état d’avancement des travaux, il est impossible de considérer les 60 dossiers validés un acquis réel.
Sans données consolidées ministère-banques, nous sommes face à une statistique d’intention, non à une mesure de performance.
Mais quel pourcentage concerne des hôtels réellement en situation de délabrement, rénovés pour la dernière fois il y a plus de 12 ans?
Sans cette donnée, impossible de savoir si Cap Hospitality corrige les urgences structurelles ou finance uniquement des rénovations opportunistes.
Si 70 % des fonds vont à des 4 et 5 étoiles déjà rentables, l’impact social sera évidemment faible. Si les 2 et 3 étoiles captent une part significative, l’effet sur l’emploi local et les territoires sera beaucoup plus profond. Une bonne chose de faite alors…
On observe notamment que l’un des critères majeurs est territorial. Marrakech, Agadir ou Casablanca ont des demandes historiques et des marges plus fortes. Alors que les zones montagneuses, sahariennes ou intérieures ont des besoins urgents mais une bancabilité plus fragile.
Par exemple, un établissement ayant réalisé 40 000 nuitées en 2024 n’a pas le même effet multiplicateur local qu’un hôtel de montagne réalisant 4 000 nuitées. Les deux ont besoin de soutien, mais pas selon les mêmes mécanismes.
Quoiqu’il en est, peut-on imaginer une reconduction du programme en 2026 ? La réponse honnête est : Oui, mais pas dans les conditions actuelles.
Pour la bonne raison que reconduire un programme dont l’efficacité réelle n’est pas quantifiée, les décaissements ne sont pas publiés, les bénéficiaires ne sont pas catégorisés et où un tiers des dossiers approuvés n’ont pas d’accord bancaire, reviendrait à prolonger un dispositif dont la performance est impossible à évaluer.
Pire, cela risquerait de priver de financement des établissements qui, faute de transparence sur la liste d’attente, ne savent même pas s’ils doivent retenter leur chance.
Cap Hospitality est, avant tout, potentiellement un outil de transformation industrielle du tourisme marocain. Mais un outil qui, semble-t-il, n’est pas piloté comme tel. Car les petites structures rurales, sahariennes et patrimoniales n’auront jamais les ratios financiers exigés par les banques. Pourtant ce sont elles qui créent le plus d’emploi local par dirham investi.
Notre pays qui accueillera bientôt 20 millions de touristes ne peut piloter son parc hôtelier avec des données aussi faibles.
Bon gré mal gré, les données actuelles sont insuffisantes, partiellement biaisées et ne permettent pas d’évaluer la réalité des 60 dossiers ni l’impact effectif des 4 milliards de crédits.
Le Maroc tient là un outil puissant de transformation du secteur hôtelier, mais l’absence de transparence, de catégorisation et de publication des accords bancaires compromet autant la vision que l’exécution.
Avant de parler reconduction 2026, il faut produire, d’abord, un bilan détaillé, ensuite un tableau de bord public et, enfin, une priorisation stratégique fondée sur l’impact local.
Sans cette rigueur, Cap Hospitality restera un excellent concept… mais une réalité incomplète.




