Pourquoi le Compte Satellite tarde t-il encore à voir le jour, alors que le Maroc, en pleine embellie, ne peut plus s’en passer ?
Plus de dix ans après les premières annonces officielles, le CST, pourtant indispensable pour mesurer l’impact économique réel du secteur, n’est toujours pas pleinement opérationnel au Maroc. Une absence qui pèse lourd sur la performance des politiques publiques, la lisibilité du marché et la capacité des territoires à capter les retombées du développement touristique.
Au moment où notre pays vient d’enchaîner des records d’arrivées, que les investissements s’accélèrent et que la pression sur les infrastructures augmente, cette carence devient stratégique.
Pourquoi donc ce retard ? Quelles failles le CST corrigerait-il ? Et pourquoi sa création est-elle aujourd’hui urgente, notamment face au phénomène des destinations marocaines à deux vitesses?
Actuellement, il faut reconnaître que les opérateurs marocains naviguent avec des données partielles : arrivées, nuitées, recettes globales, taux d’occupation. Mais ces indicateurs ne permettent pas de mesurer ni la valeur ajoutée réelle créée par le tourisme, ni non plus les emplois réellement induits, encore moins les retombées territoriales de chaque ville à vocation touristique, non plus l’impact de l’économie informelle des hébergements non classés, de l’artisanat non structuré, des guides indépendants, ni enfin la performance des chaînes de valeur par segment, tels le MICE, le tourisme interne, le balnéaire, le rural, le city break, etc.
Pour rappel, en 2024, certaines destinations comme Marrakech et Tanger, par exemple, affichent des taux de croissance à deux chiffres, tandis que d’autres, notamment à forte vocation écologique ou culturelle, restent sous-exploitées malgré une demande croissante de tourisme rural et d’expériences. Sans CST, impossible de comparer justement la contribution réelle de ces territoires, donc impossible de calibrer des politiques différenciées.
Comment ? Le Maroc ne manque pas de compétences, mais de coordination statistique, sachant bien que le CST implique d’intégrer des données issues de multiples sources : ONDA, HCP, Trésor, douanes, plateformes de réservation, banques, opérateurs télécoms, CRT. Sa construction nécessite une ingénierie statistique que peu de pays maîtrisent pleinement.
Peut-être que cela est du au fait que chaque institution détient ses propres données, avec ses propres formats. Le partage est long, parfois sensible, surtout lorsqu’il s’agit d’informations fiscales, sociales ou issues du numérique dont la communication fait majoritairement défaut.
Les stratégies touristiques du ministère ont souvent mis l’accent sur l’investissement, la promotion ou l’aérien. La question statistique, moins visible, est restée en arrière-plan, jusqu’à ce que ses limites apparaissent clairement.
L’économie touristique informelle, estimée dans certains territoires à plus de 30 % des activités liées aux touristes et visiteurs, demeure un angle mort. Elle fausse les analyses et rend les politiques moins efficaces.
C’est là que le CST peut néanmoins constituer une force majeure, car il changerait immédiatement les orientations dans la gouvernance touristique, en permettant d’identifier les segments les plus productifs en termes de valeur ajoutée et d’emploi.Exemple:En 2025, le tourisme domestique représente plus de 30 % des nuitées, mais son poids réel dans la valeur ajoutée locale est inconnu. Un CST permettrait de mesurer son impact et de soutenir des infrastructures adaptées en parcs de loisirs, hébergements intermédiaires et mobilité régionale.
Ce n’est pas un secret : Les fonds internationaux comparent les destinations à travers des indicateurs standardisés.Sans CST, le Maroc reste partiellement lisible, notamment pour les investisseurs hôteliers institutionnels ou les opérateurs de gestion d’actifs touristiques.
Le CST Maroc, si toutefois il est installé, permettrait de mesurer les retombées réelles de l’ouverture de nouvelles routes aériennes,la pression sur les infrastructures et l’impact de la croissance des Airbnbs sur le tissu local.À Marrakech, la croissance soutenue des locations touristiques modifie profondément la distribution des retombées économiques ; seul un CST permettrait d’en mesurer précisément les effets, notamment sur l’emploi, la fiscalité locale et le prix de l’immobilier.
Ceci dit, le Maroc vit aujourd’hui une polarisation touristique, quelques villes captent l’essentiel des flux et des investissements, pendant que d’autres, pourtant riches en patrimoine, peinent à émerger. Alors qu’avec un CST, l’État pourrait enfin démontrer la contribution économique de chaque région, valoriser les territoires ruraux à forte intensité culturelle, orienter les financements vers des zones à fort potentiel mais sous-performantes, adapter les plans de formation aux besoins locaux et mesurer l’efficacité des promotions régionales.Exemple :Les régions de Drâa-Tafilalet et Béni Mellal-Khénifra attirent un tourisme culturel et naturel croissant, mais manquent d’infrastructures d’accueil. Avec un CST régionalisé, l’État pourrait quantifier leur valeur réelle et y orienter prioritairement les investissements.
Or, le ministère du Tourisme gagnerait à publier un CST national de première génération, version stabilisée, conforme aux standards OCDE/OMT, même si la granularité est encore limitée, en rendant notamment obligatoire une publication annuelle par région, avec indicateurs comparables et calendrier fixe, tout en intégrant les données du numérique et de l’économie réelle, grâce à des protocoles anonymisés avec plateformes de réservation comme Airbnb et Booking, opérateurs télécoms pour ce qui est de la mobilité touristique, les banques au niveau des transactions POS et les coopératives artisanales et acteurs du tourisme rural.
C’est pour dire que le Maroc ne manque ni d’atouts, ni d’ambitions, ni d’investissements.Il manque d’un cadre statistique solide pour piloter sa transformation touristique.
Le Compte satellite du tourisme, en plus qu’il est un outil technique, il constitue la colonne vertébrale d’un modèle touristique moderne, équilibré, inclusif et durable.
Après plus de dix ans d’attente, son déploiement est une condition pour renforcer la souveraineté économique du tourisme marocain et sortir définitivement du modèle des destinations à deux vitesses. Ce n’est plus une option…
La nécessaire urgence d’un Compte Satellite du Tourisme




