9 octobre 2024

«Nous voulons travailler sur des produits touristiques spécifiques en gardant en toile de fond le tourisme culturel»

Décryptage de l’interview de Mme Fatim Zahra Ammor, ministre du tourisme, de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire face au site d’informations, le Desk. Celle-ci revient sur différents sujets d’actualité: la reprise du tourisme, la crise sanitaire, l’aide aux hôteliers, la structuration de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire et enfin le pilotage du programme Forsa.

Ingénieur de formation, Fatim Zahra Ammor a fait toute sa carrière dans le privé d’abord chez la multinationale Procter&Gamble avant de rejoindre Akwa Group. Ce choix se révèlera déterminant pour sa reconversion dans la politique. Aziz Akhannouch fera de l’ancienne directrice marketing de son groupe un pilier de son gouvernement lui confiant un ministère clé qui couvre le tourisme, l’artisanat et l’économie sociale et solidaire, secteurs mis à mal par deux ans de pandémie de Covid-19. Sa mission: participer à réengager le pays sur le chemin de la croissance à travers un ambitieux plan de relance du tourisme et en stimulant l’entreprenariat avec Forsa.

Le Desk: Fatim  Zahra Ammor, quel bilan faites-vous de l’impact de la crise Covid-19 sur le tourisme ?

Mme Ammor: Le tourisme a énormément souffert pendant ces deux dernières années d’arrêt pour quasiment l’ensemble du secteur hôtelier et ceux qui en dépendent. Nous avons perdu 9 millions de touristes en un an et 50 milliards de dirhams de recettes en devises par an pendant deux ans. L’impact était énorme. Tout notre travail pendant cette période a été de prioriser le soutien qu’on a voulu donner au secteur du tourisme en attendant la reprise. C’était la priorité pendant le début de mon mandat.

Pensez-vous que la crise sanitaire est derrière nous ?

Je pense personnellement que la crise est derrière nous comme dans la plupart des pays. On a recensé quelques cas aujourd’hui. Mais sincèrement, cela reste très marginal. Je pense qu’il ne faut pas trop s’inquiéter. Il faut passer à autre chose.

Est-ce que vous pouvez affirmer qu’il n’y aura pas de mesures de restrictions durant l’été ?

Sincèrement non. Je ne pense pas qu’il y aura des mesures de restrictions durant la période estivale.

Toujours durant l’été, est-ce que vous avez des prévisions quant aux arrivées des touristes étrangers ?

Les indicateurs sont au vert. D’après nos estimations, on prévoit un taux d’occupation de 80% dans les régions balnéaires. Ce qui est très bien. On est quasiment aux niveaux de 2019 dans ces régions-là. Un peu moins dans les autres. Nous avons de bons signes de reprise surtout que la période estivale ne coïncide pas avec le Ramadan comme c’était le cas en 2019. Cela devrait influencer les chiffres positivement.

En ce qui concerne le soutien aux hôteliers, comment vous êtes-vous organisée ?

Cela nous a pris 3 mois pour la mise en place de tout le système de soutien aux hôteliers. Comme vous le savez, le plan d’urgence a nécessité 2 milliards de dirhams de la part du gouvernement dont 1 milliard de dirhams pour la mise à niveau des hôtels non seulement pour les infrastructures mais aussi pour la formation. L’appel d’offres a été lancé fin février. Nous allons commencer à donner les subventions dès la semaine prochaine. Au total, 737 hôtels vont bénéficier du soutien. Toutes les catégories d’hôtels sont touchées dans toutes les régions. Pour mieux expliquer le processus, nous avons accordé des enveloppes budgétaires aux différentes régions en fonction de leur capacité. Les régions qui ont demandé des montants inférieurs à leur enveloppe budgétaire se sont vues attribuer 100% de leur demande. Les hôtels nécessitant plus de budget se trouvant de ce fait dans des régions touristiques telles que Casablanca, Marrakech et Agadir ont été satisfaites au prorata de leur demande. On a donc fait une péréquation de manière à ce que tous les hôtels puissent bénéficier. Par contre, pour encourager les petites structures, on a satisfait à 100% toutes les demandes inférieures à 500.000 DH. Ce qui est intéressant à souligner c’est que les aides vont de 200.000 Dirhams pour les petites structures à 7 millions de Dirhams pour les grands hôtels. Cela  démontre que tout le monde a pu jouir de l’offre.

Dans votre sélection des hôteliers, être en règle fiscalement est un critère facultatif ou obligatoire ?

Théoriquement, j’ose espérer qu’ils sont tous en règle de point de vue fiscal. Dans ce cadre, un décret a été publié récemment. Sincèrement, je pense que tous les hôteliers feront le nécessaire pour être en règle. Il était question que cette subvention en particulier ne soit pas concernée par ce décret car elle en est antérieure.

Des villes comme Chefchaouen ont la particularité d’abriter plusieurs établissements non classés. Bénéficieront-ils d’un soutien quand même ?

Le ministère du tourisme ne reconnait que les établissements classés. Tous les hôtels classés sont qualifiés. Nous invitons donc les hôtels à se mettre en règle à ce niveau là.

Au-delà de l’aide directe aux hôteliers, y’aura-t-il d’autres mécanismes qui seront mis en place ?

L’idée était d’accompagner les hôteliers à accélérer le redémarrage. Maintenant que la reprise est là, ce sont les arrivées des touristes qui feront le bonheur des hôteliers et non le soutien financier de l’Etat.

Ce 9 juin, un accord historique a été signé entre l’ONMT et la RAM. Comment votre ministère se positionne par rapport à ce partenariat ?

Nous avons été partie prenante de nos discussions entre l’ONMT et la RAM. L’objectif était d’inscrire absolument la RAM dans la stratégie du ministère dont l’aérien fait partie. Aujourd’hui, on ne peut pas parler d’essor du tourisme sans renforcement des dessertes aériennes. J’ai rencontré les différents opérateurs que ce soit l’ONMT qui dépend de mon ministère et la RAM. L’idée était que l’avionneur national s’inscrive dans le travail du ministère pour une reprise rapide. Un travail qui s’est fait en amont. Le mémorandum of understanding que nous avons signé hier est le résultat de toutes ces discussions.

Il y a eu la vision 2020, est-ce que vous pensez à une autre stratégie ?

Sincèrement aujourd’hui, je pense qu’on sait ce qu’on a à faire. Beaucoup de stratégies ont été réalisées. Nous connaissons les besoins du touriste d’aujourd’hui et de demain bien différents de celui d’hier. Les choses ont changé avec la crise Covid-19. Il est important de comprendre que le voyageur a d’autres besoins qu’on connait. Le besoin de nouvelles études ne se fait pas sentir. L’ONMT a d’ailleurs lancé l’année dernière une importante étude sur une douzaine de pays qui nous montre que les besoins des touristes sont l’éco-tourisme, le tourisme de nature, d’expérience unique… Nous connaissons les besoins des différents pays émetteurs. Nous sommes entrain de travailler sur un certain nombre de produits qui diffèrent d’un pays à l’autre. Nous ne voulons plus travailler sur des destinations en tant que tel mais sur des produits touristiques qui peuvent être un voyage autour du surf, un circuit entre Taghazout, Imsouane et d’autres régions du sud, un voyage de désert ou un city break. Voilà ce que sera notre stratégie avec toujours en toile de fond l’attrait culturel du pays. Nous avons réalisé que tous les visiteurs du Maroc viennent pour la culture même s’ils visitent le pays pour d’autres raisons. Maintenant, lorsqu’on va développer le tourisme balnéaire, le tourisme de montagne et le tourisme rural, on gardera toujours la combinaison entre un type de tourisme et le tourisme culturel. C’est extrêmement important.

Depuis plusieurs mois, personne ne parle de l’observatoire  du tourisme qui produit de la data pour le secteur. Comptez-vous le réactiver ou le mettre à niveau ?

Complètement. Il faut mettre à niveau l’observatoire du tourisme. C’est un chantier sur lequel on travaille de manière très active. Comme vous l’avez évoqué, on n’a pas eu de données pendant quelques temps. Il est important que cet outil soit rapidement activé pour le pilotage de l’activité. L’observatoire est en effet une priorité du ministère.

Parlons maintenant artisanat. Quelle est votre stratégie pour structurer le secteur?

Pour l’artisanat, notre priorité était de mettre en place les décrets d’application de la loi 50-17 qui est là pour structurer le secteur. Comme vous le savez, le secteur est très important pour l’économie marocaine. Il emploie 2,5 millions de personnes et représente 7% du PIB. On peut dire qu’une famille sur 3 vit de l’artisanat. Il était important qu’on mette en place une structuration de ce secteur qui plus est, une demande des chambres d’artisanat datant de plusieurs années. Aujourd’hui, la mise en place du registre national de l’artisan est un grand pas en avant qui a été mis en place il y a quelques mois. Ce registre a pour objectif de donner un statut à l’artisan selon une nomenclature de 172 filières. L’artisan  aura enfin un identifiant. C’est ce qui va lui permettre de s’inscrire à la CNSS. Nous estimons qu’il est important de donner une dignité et un statut à cette partie très importante de la population.

Il y a quelques semaines, pour l’élaboration de la loi cadre de l’économie sociale et solidaire, votre ministère a fait appel à deux cabinets externes. Est-ce que vous assumez ce procédé ?

Le ministère fait appel à des cabinets externes sur ces sujets-là et pour d’autres sujets qui ont besoin d’énormément de ressources expertes en peu de temps dont on ne dispose pas au niveau du ministère du tourisme et de l’économie sociale et solidaire. Si on veut que les projets voient le jour rapidement, nous devons nous faire aider. On est là pour piloter les projets mais nous n’avons pas la capacité de les exécuter. Nous avons certes de l’expertise en interne pour certains sujets. Mais il y en a d’autres qu’on ne peut pas réaliser car ce n’est pas notre métier. Et c’est de bonne guerre. C’est de cette manière que l’on peut faire avancer nos projets.

Un texte était déjà prêt. Pour les deux cabinets, le travail consistera-t-il en une mission d’actualisation ? Ou s’agira-t-il d’ouvrir une nouvelle page ?

Certains volets ont été réalisés pour l’ancienne étude. La raison pour laquelle on doit la reprendre est l’arrivée du nouveau modèle de développement. Il est important d’inscrire cette nouvelle loi dans le nouveau modèle de développement et dans ces objectifs-là. Il était tout aussi capital de repositionner les choses notamment par rapport à nos objectifs qui sont par exemple de faire passer la contribution de l’économie sociale et solidaire de 2% à 8% du PIB pour s’inscrire dans le NMD. Tout cela a fait que nous avions besoin de relancer une étude qui n’était pas là pour refaire le travail  mais plutôt pour capitaliser sur ce qui a été réalisé. Sortir une loi très rapidement  était nécessaire. L’objectif est d’avoir un cadre réglementaire pour se doter d’outils pour se développer et en faire le troisième pilier de l’économie aux côtés du secteur public et du secteur privé.

Pensez-vous qu’avec le nouveau modèle de développement, faudra-t-il à chaque fois changer de texte au niveau du gouvernement ou de votre ministère ? Il est question d’une étude au coût de 4 MDH.

Non, franchement, en ce qui me concerne, il n’y a que ce volet-là qui n’avait pas été intégré. Je pense que durant les derniers mois, au cours de la préparation de la loi de finances, la plupart des points du NMD ont été inclus. Je ne pense pas que ce soit le sujet. Je tiens à préciser que l’étude ayant coûté 4,5 MDH a été financée par l’AFD (l’agence française de développement).

Depuis quelques mois, vous pilotez le programme Forsa qui devait plutôt revenir au ministère de l’inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences de M. Younes Sekkouri. Pensez-vous que votre département est plus apte à mener cette mission ?

Le gouvernement a un certain nombre de projets importants qui ont pour finalité de conserver l’emploi. Il existe deux projets importants; Awrach et Forsa. Le chef du gouvernement a cru bon de répartir les différents projets à des personnes distinctes de manière à les faire avancer rapidement. Franchement, cela ne va pas plus loin que ça.

Vous pilotez le programme Forsa. A vos côtés, la SMIT (société marocaine d’ingénierie touristique) vous accompagne. Quelle est sa valeur ajoutée ?

La SMIT, qui est une société spécialisée dans l’ingénierie et dépendant du ministère, a les ressources pour exécuter les projets pour le ministère et le gouvernement. Le choix était judicieux puisque le projet est aujourd’hui très avancé grâce aux compétences de la SMIT et aux choix technologiques qu’on a été capables de mettre en place grâce à eux partiellement.

Il y a quelques années, la SMIT a fait l’objet de sévères critiques de la part de la Cour des comptes. Depuis, y a-t-il eu une mise à niveau de la SMIT ?

Il faut savoir que toutes les remarques de la cour des comptes à propos de la SMIT, datant de 10 ans auparavant, ont été implémentées. Après les organismes publics sont là pour régler les problèmes au fur et à mesure. Cela n’enlève en rien les compétences des différents organismes.

Où en est le programme Forsa aujourd’hui ?

Le programme a reçu un engouement énorme de la part des marocains de manière générale et des jeunes particulièrement. Nous avons reçu 160.000 candidatures alors qu’on s’attendait à en recevoir 60.000 selon nos estimations. Quasiment 95% des candidatures reçues ont été déjà traitées au niveau de la relation clientèle. Près de 40.000 sont déjà au niveau des incubateurs. Les entretiens ont déjà commencé dans l’ensemble des 12 régions. Si tout se passe bien, on pourra annoncer dès lundi prochain les premiers candidats acceptés dans le programme. Ils pourront commencer leur formation de e-learning, Forsa Academy dès la semaine suivante.

Des incubateurs ont été sélectionnés à travers des appels d’offres. Les résultats dévoilés montrent que la plupart sont des bureaux d’études et d’ingénierie. Pensez-vous que les structures choisies rempliront à ce rôle ?

Ecoutez. Ils ont répondu aux appels d’offres et correspondaient aux critères demandés. On verra ce que cela va donner. Mais de toute façon, nous avons besoin de 46 incubateurs. Ce qui représente un nombre énorme. L’incubation est un métier nouveau. Dans tous les cas, les incubateurs sont rémunérés à la performance pas au nombre d’incubations. On verra le résultat.

Si cela ne marche pas, ferez-vous marche arrière ? Est-ce que cela ne va pas retarder le programme Forsa ?

J’espère que non en tout cas. Il faut vraiment comprendre que ce programme est extrêmement ambitieux. Il avait pour objectif de recruter 10.000 porteurs de projets pour l’année 2022. Il est possible qu’on dépasse l’objectif et qu’on réitère l’expérience l’année prochaine. Forsa est finalement un programme gouvernemental créé pour aider la jeunesse marocaine. Ce n’est pas un projet ministériel. Au sein de ce ministère, on est là pour s’entraider et pour faire réussir ce gouvernement pour le bien de notre pays et de notre jeunesse.

W.M

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