L’impact stratégique de l’événementiel et l’animation urbaine
Le Maroc renoue cet été 2025 avec une effervescence culturelle inédite. Festivals de musique, de cinéma, de littérature ou de traditions populaires. Tout se se bouscule et se chevauche coude-à-coude sur le calendrier événementiel, dans un climat post-pandémique de résilience touristique, certes, et d’incertitudes socioéconomiques surtout. Aussi, derrière ce foisonnement se cache une problématique structurelle récurrente : le chevauchement des événements, l’absence de coordination nationale et la sous-exploitation du potentiel touristique de ces festivals. Un paradoxe qui coûte cher aux territoires.
Le retour en force des festivals a réanimé l’économie de l’événementiel, c’est indiscutable, mais a aussi remis en lumière un mal ancien : l’entassement des dates. Entre juin et juillet, le Maroc concentre la majorité de ses grands rendez-vous culturels, de Mawazine à Rabat à celui de Gnaoua à Essaouira, en passant par Timitar à Agadir et Jazzablanca à Casablanca, etc, etc… Or, ce phénomène provoque une dilution de l’audience, une concurrence déloyale entre territoires et une dispersion des ressources logistiques et médiatiques.
L’exception en 2025 du Festival de Fez des Musiques Sacrées du Monde, s’en est sorti car programmé bien avant. Ainsi, il démontre que des ajustements calendaires sont non seulement possibles, mais bénéfiques.
Le cœur du problème reste une coordination défaillante entre les principaux acteurs : ministère de la Culture, ministère du Tourisme, ONMT, délégations régionales, hôteliers, transporteurs et agences de voyages. Nos festivals sont trop souvent perçus à travers un prisme strictement culturel, alors qu’ils sont aussi – et surtout – des vecteurs puissants de tourisme.
Prenons l’exemple d’Essaouira. Chaque année, lors du Festival Gnaoua, la ville est prise d’assaut. L’hébergement devient une denrée rare et les infrastructures sont poussées à leurs limites. Pourtant, malgré cette affluence prévisible, les dispositifs d’accueil ne sont pas anticipés, les circuits touristiques alternatifs sont absents et aucun plan de décongestion ou de transport régional n’est mis en œuvre.
Alors que de grandes villes comme Marrakech attirent des célébrités internationales pour le Festival du Film, peu d’entre elles sont informées des autres événements culturels qui se déroulent dans le pays. Nos festivals ne figurent ni dans les brochures des tour-opérateurs, ni dans les briefings hôteliers. Les hôtels eux-mêmes, qui devraient être des relais d’information, préfèrent cloisonner leurs clients à l’intérieur de leurs infrastructures, maximisant leur chiffre d’affaires au détriment de la destination.
Cela traduit une lacune criarde : le manque d’un véritable marketing territorial autour du tourisme festif. Très peu de festivals bénéficient d’une communication ciblée à l’international. Les moussems, souvent riches en authenticité, ne sont pas traduits ni promus au-delà du public local, alors qu’ils pourraient séduire une clientèle à la recherche d’expériences culturelles singulières.
Que faire alors ? Le ministère de la Culture, en concertation avec le ministère du Tourisme, gagnerait à mettre en place une politique nationale de « festivalisation intelligente », articulée autour de trois piliers potentiels :
-Calendrier concerté : Une planification annuelle anticipée, avec un étalement saisonnier rationnel, pour éviter les chevauchements et maximiser les retombées sur chaque territoire.
-Intégration touristique : Inclusion systématique des festivals dans les circuits touristiques, les offres de séjour, les programmes des hôtels et les plans de promotion de l’ONMT, avec une forte composante numérique et multilingue.
-Renforcement local : Développement des capacités d’accueil dans les villes secondaires, via des incitations à l’investissement hôtelier temporaire (logement alternatif, maisons d’hôtes, camping culturel), et un appui logistique coordonné avec les communes.
Il est temps que les politiques culturelles et touristiques ne soient plus conçues comme des silos. L’axe culture-tourisme peut générer une valeur ajoutée considérable, tant en termes d’attractivité territoriale que de développement économique inclusif. À condition de repenser les festivals non comme des événements isolés, mais comme des catalyseurs systémiques d’activité.